À Toulouse, la persistance des traditions romanes génère d'abord un retard dans l'apparition du style gothique. Sous l'influence des cisterciens, qui tiennent alors le rôle principal dans la lutte contre l'hérésie cathare, et dans le contexte de la croisade contre les albigeois (dès 1208), va se développer un art de bâtir original, empreint d'austérité et de rigueur : le gothique méridional, dont Toulouse posera la plupart des principaux jalons.
Depuis le XIIème siècle, les cathares trouvent dans le Midi languedocien une terre d'asile où la tolérance des grands seigneurs tels que le comte de Toulouse ou le vicomte Trencavel permet à leur communauté de croître et de prospérer. De plus en plus inquiète par ce phénomène qu'elle considère comme une hérésie et dont elle n'a véritablement mesuré le danger qu'en 1165 lors du Concile de Lombers, près d'Albi (ce qui vaut aux cathares d'être appelés "Albigeois", sans que cette ville soit cependant plus touchée que d'autres), et devant le refus du comte de Toulouse de persécuter ses vassaux cathares, l'Eglise catholique met en place dans les premières décennies du XIIIème siècle un dispositif répressif particulièrement redoutable et comportant plusieurs volets.
Impulsée par le pape Innocent III, une expéditition militaire de grande envergure prenant le nom de "croisade des albigeois" descend la vallée du Rhône et pénètre en Languedoc. Les croisés, d'abord victorieux, connaissent ensuite des difficultés à occuper le terrain quand il apparaît que cette guerre est au moins autant une guerre de conquête qu'une croisade religieuse, d'autant que la plupart des seigneurs du nord sont réticents à dépouiller ceux du sud qu'ils considèrent comme leurs pairs. Après dix ans passés à lutter pour établir son pouvoir, période mouvementée dont les événements sont narrés par le poème occitan connu sous le nom de Canso, le chef de la croisade, Simon de Montfort, est tué sous les murailles de Toulouse en 1218. Ses adversaires, les comtes de Toulouse Raymond VI puis Raymond VII, quoique frappés d'excommunication, semblent sur le point de retrouver leur indépendance, mais leurs terres attirent la convoitise de la royauté française, aiguillonnée par le pape, et après dix années supplémentaires de lutte le comte Raymond VII doit se soumettre, soumission entérinée par le traité de Meaux-Paris de 1229.
Si cette soumission formelle de 1229 va permettre la création de mesures destinées à éradiquer le catharisme (mise en place de l'Inquisition, création de l'université de Toulouse), il est toutefois nécessaire de relativiser l'importance numérique des cathares, qui ne semble pas avoir excédé 10% de la population de la région, pour comprendre comment d'autres initiatives destinées à contenir le catharisme ont pu voir le jour avant cette date. Nous citerons ici l'action de prédication menée dès 1206, dans le Lauragais notamment, par Dominique de Guzmán (futur saint Dominique) qui amènera à la création de l'Ordre des frères prêcheurs (aussi appelés dominicains) en 1215 à Toulouse, et la naissance sous l'impulsion de l'évêque de Toulouse, Foulques, d'une architecture gothique particulière qui fera école dans le Languedoc et même au-delà : le gothique méridional.
La personnalité de l'évêque Foulques mérite que l'on s'y attarde quelque peu. Originaire de Marseille, il est d'abord marchand, puis un troubadour reconnu. En 1195 il arrête la poésie et devient moine cistercien. Abbé de Thoronet en 1201, il est nommé évêque de Toulouse en 1205 et prend vite la mesure du défi que constitue l'expansion du catharisme dans son diocèse. Il soutient saint Dominique dans son action de prédication et dans la création de l'Ordre des frères prêcheurs, et l'accompagne à Rome voir le pape pour l'aider à faire reconnaître son ordre nouvellement créé. Il rallie Simon de Montfort, ce qui lui vaut le qualificatif de "traître" par l'auteur de la Canso évoquée plus haut, mais son dévouement à la cause catholique et son rôle important dans le triomphe final de cette dernière lui valent d'être célébré et placé au Paradis par Dante dans la Divine comédie (XIVème siècle), une des oeuvres les plus importantes de la civilisation médiévale européenne.
C'est sous son long épiscopat (1205-1231) qu'est décidée la reconstruction de la cathédrale de Toulouse, qui marque la naissance du style gothique méridional.
L'une des raisons expliquant aux XIIème et XIIIème siècles le succès du catharisme, forme de christianisme austère en dissidence avec l'Eglise catholique, est le fait que le clergé catholique se compromet dans le luxe et la corruption, faisant notamment du commerce des indulgences une source de revenus qui l'éloigne du petit peuple. En réaction, pour regagner la confiance des fidèles, apparaissent au début du XIIIème siècle les ordres mendiants (franciscains, dominicains...) qui vivent de la charité et prêchent pieds nus.
À Toulouse, entre 1210 et 1220, l'évêque Foulques procède à la reconstruction de la cathédrale romane bâtie par l'évêque Isarn. Le nouveau bâtiment est novateur, mêlant influences méridionales et architecture cistercienne. Conçu en fonction du contexte religieux particulier et dans un esprit de défense de l'orthodoxie, il met en oeuvre une nef unique propice à la prédication et une austérité architecturale qui doit à la fois à l'usage de la brique (peu propice aux sculptures) et à la volonté de rompre avec les pratiques décriées de l'Eglise (affichage de luxe et de richesse) qui font le lit du catharisme.
La création du style gothique méridional est donc un exemple exceptionnel d'adaptation de l'architecture religieuse régionale à une menace qui secoue l'Eglise dans ses fondements mêmes. À l'instar de la naissance des premiers ordres mendiants à la même époque, elle traduit une véritable volonté de renouer avec des vertus de simplicité et d'authenticité susceptibles de regagner la confiance des croyants. Il est intéressant de noter que ces problématiques se poseront à nouveau deux à trois siècles plus tard avec la montée du protestantisme, et que la réaction alors adoptée par l'Eglise catholique sera complètement opposée puisqu'elle donnera naissance à l'exubérante richesse décorative du baroque.
La cathédrale Saint-Etienne telle qu'elle nous apparaît actuellement est, pour l'essentiel, la juxtaposition de deux structures architecturales érigées aux deux extrémités du XIIIème siècle. Elles résument à elles seules le virage que prend l'histoire de Toulouse dans ce siècle déterminant où la ville devient française.
La nef unique de la cathédrale Saint-Etienne, bien qu'elle puisse aujourd'hui paraître modeste en regard du choeur qui la jouxte, était sans doute dans les premières décennies du XIIIème siècle la plus large d'Europe occidentale avec ses 19 mètres de largeur. On doit à un caprice de l'histoire d'avoir pu conserver trois des cinq travées de cette nef-mère du gothique méridional, ainsi que nous allons le voir plus loin.
Le traité de Meaux-Paris de 1229 constitue une véritable capitulation pour le comte Raymond VII, il perd tout le bas Languedoc et ses terres provençales pour ne conserver que la région autour de Toulouse. Devenu vassal du roi de France, il s'engage à marier sa fille et unique héritière, Jeanne, au frère du roi, Alphonse de Poitiers. Petit saut dans le temps : en 1271 Jeanne et son époux meurent sans héritier. Toulouse est intégrée à la couronne, quoique pas immédiatement car pendant quelques années le roi de France aura la double couronne de France et de Toulouse.
La lignée des comtes de Toulouse éteinte, les Toulousains entendent donner des gages de fidélité à leur nouveau maître et la cathédrale connaît dans les dernières décennies du XIIIème siècle un nouveau chantier : il est prévu d'élever une cathédrale en style gothique d'Île de France, plus haute, plus grande, et fort onéreuse à construire, qui en commençant pas le choeur doit au fur et à mesure de sa construction venir démolir la nef plus ancienne de Foulques.
Mais à deux reprises la haute politique papale va venir contrarier ces plans : en 1296 le pape Boniface VIII divise le vaste évêché de Toulouse en deux, et crée celui de Pamiers. Il semble qu'il ait considéré que la taille trop importante de cet évêché avait été une des causes de la propagation du catharisme en empêchant les évêques de Toulouse de bien administrer leur diocèse. Deux décennies plus tard, le pape Jean XXII fragmente à nouveau les grands diocèses du sud de la France : étant l'un des premiers papes d'Avignon, il a besoin de nouveaux sièges épiscopaux à distribuer comme récompense à ses soutiens. Sont ainsi créés sur celui de Toulouse les diocèses de Lavaur, Lombez, Mirepoix, Montauban, Rieux et Saint-Papoul. Cette nouvelle perte pour le diocèse de Toulouse est symboliquement compensée par son élévation au rang d'archidiocèse, mais la perte financière est pour sa part irréparable, d'autant que la concurrence des ordres mendiants pour la captation des dons et des legs se fait féroce.
Ainsi, faute de moyens financiers à la hauteur des ambitions initiales, la nouvelle construction reste-t-elle inachevée. Nous est ainsi parvenue, accolée au choeur en gothique d'Île-de-France, la plus grande partie de la nef-mère du gothique méridional qui devait être détruite. Il faut, je crois, voir dans ces coups du sort une grande chance pour la mémoire historique de Toulouse et de sa région.
Autre jalon fondamental du gothique méridional posé par une église toulousaine : le clocher de Saint-Sernin. Il est bâti en deux campagnes : à l'époque romane pour les étages du bas (aux baies arrondies), et vers 1270 pour les deux étages supérieurs (aux baies anguleuses).
Ce clocher pose deux principes qui seront repris pour les clochers de la majorité des grandes églises et cathédrales de type gothique méridional : la tour octogonale étagée (caractéristique qu'il possède dès l'époque romane) et l'arc en mitre qui caractérise par excellence le type de clocher "toulousain", qu'il s'agisse d'un clocher octogonal ou d'un clocher-mur (que nous verrons plus loin).
Le célèbre architecte du XIXème siècle Eugène Viollet-Le-Duc explique le succès de l'arc en mitre dans le gothique méridional par le fait qu'il autorise une grande facilité de mise en oeuvre de la brique. On ne retrouve cependant pas de tels motifs dans les autres "gothiques de brique" (Flandres, Espagne, Baltique...), de sorte qu'il semble rester une spécificité du Midi toulousain.
Croquis ci-dessus : Clocher des Jacobins de Toulouse, illustration du Dictionnaire de Viollet-le-Duc
Ce clocher de Saint-Sernin fit donc école dans la région, pour les grands couvents, les grandes églises, et surtout pour les cathédrales érigées au XIVème siècle à la suite des démembrements du diocèse de Toulouse de 1296 et 1317, toutes bâties en style gothique méridional. En voici quelques exemples :
Après la cathédrale de Toulouse, le développement architectural du gothique méridional se poursuit dans les grands couvents toulousains des ordres mendiants, et en premier lieu au couvent des franciscains (Cordeliers, 1222) et à celui des dominicains (Jacobins, 1229). Dans le dernier quart du XIIIème siècle, la réputation de grande piété des ordres mendiants fait que l'afflux des dons et des legs autorise des campagnes de travaux permettant une réelle monumentalité des édifices : 80 mètres de long, 20 mètres de large et 28 mètres de haut pour l'église des Jacobins. Celle des Cordeliers (aujourd'hui détruite) possède les mêmes dimensions et ne se distingue de sa "rivale" que par l'absence de la colonnade centrale qui orne la nef des Jacobins.
Au XIXème siècle, les conséquences de la Révolution et la volonté de Napoléon Bonaparte, qui réquisitionne les grands couvents de Toulouse pour en faire des casernes (comme souvent dans son histoire, la ville est la base arrière des opérations militaires contre l'Espagne), conduisent à la destruction accidentelle ou volontaire des couvents des Cordeliers (dont il reste quelques vestiges) et du couvent des Carmes (dont il ne reste rien). Les couvents des Jacobins et des Augustins souffrent également, car ils sont qualifiés, peut-être un peu hâtivement, de "ruines" par Montalembert en 1833. Il doit pourtant leur rester quelque grandeur, car le même Montalembert en parle en ces termes :"Toulouse présente l'aspect d'une de ces villes des paysages du quinzième siècle, dominées par une foule de clochers pyramidaux et d'immenses nefs, hautes et larges comme des tentes, plantées par une race de géans pour abriter leurs descendans affaiblis". En 1845 Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, s'extasie et s'alarme tout à la fois :"Je viens de voir pour la première fois l'église des Dominicains dans laquelle je n'avais jamais pu pénétrer. C'est admirable. Une église immense à deux nefs séparées par d'immenses piliers d'une hauteur et d'une légèreté inouïe [...] un grand cloître avec colonnes en marbre, des voûtes peintes, nombre de chapelles avec des compositions à fresque très curieuses, tout un système de construction en briques très original, voilà ce que j'ai vu, plus de 500 chevaux mangeant leur avoine et autant de canonniers dessinant ce que je n'ose dire. Malgré les chevaux et les hommes, toute l'église est encore d'une admirable conservation". De remarquables restaurations rendront aux XXème et XXIème siècles leur noblesse et leur beauté aux couvents des Jacobins et des Augustins, mais nous nous attarderons plus particulièrement sur le Couvent des Jacobins, véritable joyau du gothique méridional.
Ci-dessous quelques photos des vestiges du couvent des Cordeliers :
Quelques photos du couvent des Augustins (reconverti en musée des beaux-arts) :
Lorsque saint Dominique va à Rome faire reconnaître son nouvel Ordre des frères prêcheurs par le pape, il lui faut déclarer une règle reconnue par l'Eglise - ce sera celle de saint Augustin - et un lieu de culte : l'église Saint Romain (qui a donné son nom à la rue Saint Rome) donnée par l'évêque Foulques. Cette église (non parvenue jusqu'à nos jours) devient vite trop petite, et grâce à un legs conséquent, vers 1229 les dominicains peuvent fonder le couvent actuellement appelé "des Jacobins". De dimensions plus modestes au départ, les nombreux dons que lui valent le succès des dominicains permettent son agrandissement progressif tout au long du XIIIème siècle.
À ses débuts l'église du couvent est relativement modeste (46 mètres de long et moins de 14 mètres de haut), conformément aux règles édictées par l'ordre dominicain qui prônent la simplicité (le but étant de lutter contre l'idéologie cathare en utilisant les mêmes armes qu'elle). Mais en 1275 le catharisme ne subsiste plus que dans quelques endroits éloignés de Toulouse, les moyens financiers du couvent de Toulouse sont colossaux et la première génération de frères ayant connu saint Dominique a disparu, il est donc décidé un agrandissement considérable qui va porter les dimensions de l'église à 80 mètres de long, 20 mètres de large et 28 mètres de haut.
L'originalité de cette église, qu'elle partage seulement avec les couvents dominicains d'Agen (plus petit) et de Paris (détruit), est la mise en place d'une colonnade centrale qui divise la nef en deux vaisseaux, dans le genre d'une église-halle, avec dans le vaisseau nord la partie réservée aux frères et dans le vaisseau sud celle ouverte à la population et consacrée à la prédication. Avec leurs 28 mètres de haut (dont 22 mètres pour la partie en pierre), ces colonnes passent pour être les plus hautes de l'architecture chrétienne, le point d'orgue étant un remarquable "palmier" qui coiffe la colonne la plus à l'est (fin du XIIIème siècle), chef-d'oeuvre unique en son genre avec ses 22 nervures, qui anticipe de plus de cent ans sur le gothique flamboyant et ses voûtes en éventail. On ignore l'identité du maître d'oeuvre à l'origine de ce bijou de l'architecture gothique méridionale.
En 1957 cette voûte en palmier inspire à Salvador Dali ce qu'il représente comme la structure de l'univers dans son tableau appelé Santiago el Grande ou Un rêve de l'unité cosmique.
Extérieurement l'église est un austère et massif monument de brique, tout à fait conforme au style gothique méridional, de même que le clocher. Intérieurement, la brique est peinte en fausse pierre blanche et en faux marbres de diverses couleurs, seule la colonnade est véritablement en pierre (de moulin). Les vitraux, à l'exception des deux rosaces préservées du XIVème siècle, ont été refaits en 1955 par le maître verrier Max Ingrand en respectant les tons colorés d'origine : bleu au nord (côté "céleste") et rouge au sud (côté "terrestre").
L'église est complétée d'un beau cloître, à moitié détruit au XIXème siècle pour en faire un manège pour les chevaux de l'armée puis rétabli dans son intégrité au XXème siècle, d'une sacristie, d'une salle capitulaire, d'un vaste réfectoire (parmi les plus grands qui existent), et de la chapelle Saint-Antonin, financée au XIVème siècle par l'évêque de Pamiers (un dominicain), dont les murs et le plafond sont couverts de remarquables peintures médiévales, abîmées par les chevaux dans leur partie basse, représentant la deuxième apocalypse et la vie de saint Antonin.
La consécration de l'église arrive en 1369 avec l'attribution par le pape Urbain V des ossements de saint Thomas d'Aquin, frère dominicain considéré comme le plus grand penseur du Moyen âge. La possession de reliques aussi prestigieuses est cependant âprement disputée : les moines de l'abbaye de Fossanova, en Italie, où il repose depuis sa mort rechignent à s'en défaire, et le couvent dominicain parisien où Thomas d'Aquin avait étudié et enseigné a également des prétentions sur la dépouille. Mais le pape a choisi : l'heureux bénéficiaire sera le couvent de Toulouse, qu'Urbain V a fréquenté dans ses années d'étudiant à l'Université toulousaine et dont il tient l'église pour la plus belle église dominicaine d'Europe. Peut-être s'agit-il aussi de dédommager la ville où l'ordre dominicain est né de n'avoir pu récupérer les reliques de saint Dominique lui-même, conservées à Bologne où il est mort...
L'église prend alors le nom de Saint Thomas d'Aquin et présente à la dévotion des foules ces insignes reliques. Au XVIIème siècle est érigé pour elles un magnifique mausolée en pierre, marbre et bois doré, haut de plus de 19 mètres, dont il ne nous reste que des gravures car il est démoli à la Révolution. Aujourd'hui les ossements du saint reposent dans une petite châsse dorée placée au centre de l'église... du moins pour le principal, car la mort d'un saint n'est pas de tout repos : on se bat pour posséder une relique, et un os de Thomas d'Aquin est accordé à droite, un osselet à gauche... le voilà vite éparpillé façon puzzle dans toute l'Europe, le pauvre Thomas !
Photo ci-dessus : châsse contenant les restes de saint Thomas d'Aquin.
Bâtie au XIVème siècle, Notre-Dame du Taur a été le prototype d'un autre jalon du gothique méridional : le clocher-mur.
Si les grands clochers octogonaux concernent généralement les cathédrales ou les grandes églises de la région, les clochers-murs ont quant à eux largement gagné les églises plus modestes disposant de moins de moyens. Faisant également un usage abondant de l'arc en mître, ils se déclinent sous diverses formes, certaines assez éloignées du dessin de leur premier modèle qu'est l'église toulousaine.
Quelques exemples de clochers-murs de la région :
Au Moyen âge, la très grande majorité des bâtiments toulousains sont essentiellement faits de bois et de torchis. La brique, produit cher, est réservée aux monuments et aux riches propriétaires. Les nombreux incendies, dont le plus fameux date de 1463, ont fait place nette, mais il demeure toutefois quelques demeures en brique témoignant des débuts de l'architecture gothique civile. De la fin de la période gothique nous sont parvenus de plus nombreuses tours d'escalier et les premiers hôtels particuliers.
La tour Vinhas est enchâssée au milieu d'un moulon et reste peu accessible, malgré ses 25 mètres de hauteur elle est surtout visible depuis les toits voisins. Comme la tour Maurand (cf. l'époque romane) elle n'est pas une tour d'escalier mais une tour d'habitation, l'escalier en vis est logé dans la tourelle d'angle qui court sur toute la hauteur de la tour (à droite sur la photo ci-dessous). Elle faisait autrefois partie d'un ensemble beaucoup plus vaste ayant appartenu à une riche famille de changeurs qui compta de nombreux capitouls aux 13ème et 14ème siècles : les Vinhas.
Au 15 rue Croix-Baragnon a survécu une demeure appelée maison romano-gothique qui ne déparerait pas à Figeac ou Cordes/Ciel, datée du tout début du XIVème siècle.
Sa façade rythmée par des baies jumelles de style gothique est soulignée par de fins cordons de pierre sculptée évoquant l'époque romane. Sont également toujours présents la grande porte et deux grands arcs ouvrant sur les boutiques. Cette rue était autrefois le principal axe est-ouest de la ville et les propriétaires ne dédaignaient pas un surcroît de ressources dû aux loyers versés par les boutiques occupant le rez-de-chaussée.
Sur les bandeaux de pierre sont sculptés des êtres et monstres hybrides, inspirés de ceux habitant les marges des manuscrits de l'époque et illustrant les thèmes de la chasse et de la musique.
De la fin du Moyen âge datent les belles maisons à pans de bois, dites "à corondage". Ce corondage peut être "de massecanat" quand la brique emplit l'espace entre les pans de bois (il reste près de 200 maisons de ce type), ou "de paillebart" quand ce rôle est dévolu au torchis (mélange de paille et de terre crue). Ces dernières flambaient facilement.
Il reste à Toulouse une trentaine de tours d'escalier de style gothique (plus une dizaine de l'époque Renaissance ou ultérieure) qu'on ne soupçonne pas car elles donnent généralement sur une cour et restent peu visibles de la rue. La plupart ont été bâties entre 1470 et 1530 mais la plus ancienne, la tour Ysalguier, est datée du XIVème siècle. Souvent appelées à tort "tours capitulaires", car une légende veut que leur construction ait été réservée aux seuls capitouls, elles desservaient les étages des premiers hôtels particuliers de Toulouse. La plupart de ces tours ont perdu leurs bâtiments contemporains et se dressent désormais au milieu de constructions plus récentes. Certaines, plus hautes qu'il n'est strictement nécessaire pour desservir les étages, pourraient mériter le qualificatif de "tour d'orgueil" témoignant d'une certaine compétition sociale. C'est le cas par exemple pour l'une des plus belles : la tour de l'hôtel de Bernuy, que son propriétaire voulait "aussi haute que celle de Monsieur le procureur du roi".
Voici quelques-unes de ces tours d'escalier gothiques :
En détruisant les deux tiers du centre-ville, le grand incendie de 1463 favorise un remembrement du parcellaire et le développement de la construction en brique (plutôt qu'en bois et en torchis). Quelques-uns des hôtels particuliers bâtis dans les décennies suivantes sont parvenus, au moins partiellement, jusqu'à nos jours. La plupart de ces hôtels sont des hôtels mixtes gothiques/Renaissance, nous ne verrons dans cette rubrique que leur partie gothique.
Parmi l'un des premiers installés dans le quartier des parlementaires en 1460-1470, il ne reste que la moitié de l'hôtel d'origine, amputé par le percement de la rue Ozenne au début du XXème siècle. Une campagne de restauration lui a rendu son aspect authentique, avec de faux créneaux et faux mâchicoulis pour lesquels la nouvelle noblesse de robe (Pierre Dahus étant un parlementaire) s'inspire des châteaux ou manoirs seigneuriaux de la noblesse traditionnelle.
La tour d'escalier du XVème siècle bâtie avec le reste de l'hôtel est remplacée vers 1530 par une très belle tour Renaissance que nous verrons dans la partie "Renaissance".
Terminé en 1478, cet hôtel de capitoul (Huc de Boysson est capitoul en 1468) possède une belle tour et un corps de bâtiments issus de l'époque gothique. Sur la deuxième cour s'ouvre une fenêtre délicatement ornée qui passe pour être la plus belle fenêtre gothique de Toulouse. Quelques décennies plus tard, le marchand de pastel Jean de Cheverry lui adjoindra de nouveaux bâtiments et de belles fenêtres Renaissance.
Capitoul en 1483 puis 1498, Jean de Catel fait bâtir son hôtel dans la fin du XVème siècle. Dans la cour, en plus de la tour (remaniée), demeure une façade médiévale dont les fenêtres sont ornées de petites sculptures.
Bâti entre 1493 et 1497 pour le marchand de pastel Pierre Delfau, cet hôtel a pu conserver sur la rue sa belle porte en accolade et ses arcs de boutique ouvrant sur un rez-de-chaussée voûté de croisées d'ogives. Les fenêtres sur rue ont été refaites au XVIIIème siècle, mais les fenêtres médiévales ont été conservées dans la cour où trône la tour d'escalier en vis.
Acteur international du commerce du pastel, originaire de Burgos en Espagne, Jean de Bernuy commence en 1502 la construction de son hôtel particulier. L'hôtel est réputé pour sa cour Renaissance (que nous verrons dans la partie Renaissance) bâtie à partir de 1530, mais un autre morceau de bravoure s'élève dès 1503-1504 dans la cour gothique : une tour d'escalier superbe, construite par les maçons Merigo Cayla et Guillaume et Jean Picart.
L'élégance de cette tour et l'ambition affichée de son propriétaire en font un éclatant symbole des tours d'escalier toulousaines.