Toulouse a été le creuset de quelques "institutions" (à prendre parfois au sens large) réellement remarquables. Certaines ont connu un rayonnement international, d'autres se démarquent par leur originalité, toutes sont intimement liées à l'histoire de la ville.
SOMMAIRE :
Dominique de Guzmán naît en Castille en 1170, devenu religieux il traverse le Languedoc en 1203 et y rencontre pour la première fois l'hérésie des "bons hommes", ou cathares. En 1206 il revient dans la région où il entame une mission de prédication de plusieurs années. N'utilisant que la persuasion pour obtenir les conversions, il insiste sur la nécessité de combattre le catharisme avec ses propres armes : humilité, pauvreté et charité. En 1207 il sillonne le Lauragais, place forte de l'hérésie, et s'installe à Fanjeaux et à Prouilhe où il accueille des femmes ayant abjuré la foi cathare et désireuses de mener une vie monastique. Dès cette époque il est soutenu par l'évêque de Toulouse, Foulques, qui lutte avec énergie contre l'hérésie.
En 1208 la situation politique se tend avec l'assassinat du légat du pape, Pierre de Castelnau, attribué à l'entourage du comte de Toulouse, Raymond VI, qu'il venait d'excommunier. Le pape décide d'une croisade militaire qui connaît bien des péripéties, mais en 1213 Simon de Montfort bat l'armée toulousaine et aragonaise à Muret et, en 1215, le pape accorde la suzeraineté sur Toulouse au vainqueur qui prend dès lors possession de la ville. L'évêque Foulques ayant appelé Dominique à venir prêcher à Toulouse, il s'y installe cette même année.
Sous la domination de Simon de Montfort Toulouse est réconciliée avec l'Eglise, Dominique s'entoure de compagnons pour reprendre la prédication en ville. L'un d'eux, Pierre Seilhan, reçoit trois maisons en héritage dont il fait aussitôt don à Dominique. La communauté naissante s'y installe et dispose désormais d'un toit, elle est reconnue par l'évêque Foulques.
En septembre 2015 Foulques et Dominique partent à Rome assister au concile du Latran. Ils rencontrent le pape Innocent III pour promouvoir la fondation d'un nouvel ordre, celui-ci leur laisse bon espoir mais demande à Dominique de choisir une règle de vie déjà approuvée par l'Eglise et un lieu de culte. En 1216 Dominique et ses frères font le choix de la règle de Saint Augustin, ils rédigent ensuite les coutumes de leur vie quotidienne. Quant au lieu de culte, l'évêque Foulques leur fait don de l'église Saint-Romain à Toulouse, aujourd'hui détruite mais qui a laissé son nom à la rue Saint Rome où elle était sise.
Dominique retourne alors à Rome voir le nouveau pape Honorius III, qui par la bulle Religiosam vitam du 22 décembre 1216 confirme la prédication toulousaine. Enfin le 21 janvier 1217 la bulle Gratiarum omnium largitori crée l'Ordre et lui attribue son nom de prêcheurs.
Dominique ne fait ensuite plus que de courtes apparitions à Toulouse, d'autant qu'en 1218 la ville se révolte contre Simon de Montfort et que s'ouvre une nouvelle période troublée. Dominique part fonder des couvents à Bologne et à Paris, les deux principales villes universitaires de cette époque, où il envoie ses frères se former intellectuellement.
Ces premières années sont décisives pour le développement de l'Ordre et posent les principes qui lui vaudront un succès foudroyant : diffuser la parole de Dieu par la prédication et l'enseignement, les frères doivent également renoncer à tout revenu foncier et vivre de mendicité. Dominique meurt à Bologne en 1221, où reposent depuis lors ses ossements, en 1234 il est canonisé et désormais désigné sous le nom de "saint Dominique". Les décennies suivantes verront l'Europe se couvrir de centaines de couvents dominicains.
En dehors du fameux couvent des Jacobins (à voir dans la rubrique 'architecture gothique'), il reste comme témoignages des débuts de l'ordre dominicain la maison Seilhan et une ancienne chapelle qui lui est attenante.
La maison Seilhan, cédée en 1215 par Pierre Seilhan à Dominique, est considérée comme le lieu de naissance de l'Ordre. On y trouve la chambre de saint Dominique, que la tradition désigne comme l'endroit où il vivait et priait lors de son séjour toulousain :
Devenue ensuite le siège toulousain de l'Inquisition, la maison Seilhan jouxte une ancienne chapelle longtemps nommée chapelle de l'Inquisition. Au XVIIème siècle le peintre dominicain Balthazar-Thomas Moncornet y peignit un plafond à caissons retraçant l'itinéraire moral de saint Dominique en 15 tableaux, de son enfance à sa mort.
C'est au cardinal de Saint-Ange Romano Bonaventura, légat du pape pour la croisade royale en Languedoc en 1226, puis précepteur du jeune roi Louis IX et conseiller de la régente Blanche de Castille, que l'on doit la rédaction du traité de Meaux-Paris qui entérina en 1229 la soumission du comte de Toulouse à la Couronne de France au sortir de la croisade des albigeois. L'un des articles de ce traité procédait à la création d'une université à Toulouse, pensée comme l'une des armes de la papauté pour lutter contre l'hérésie cathare que l'Eglise catholique tentait d'extirper de la région. Cette participation essentielle du cardinal de Saint-Ange, et à travers lui du pape Grégoire IX, fit de l'Université toulousaine un cas particulier en Europe en ce qu'elle fut la première université directement créée par la volonté papale.
À cette date l'Europe comptait moins d'une dizaine d'universités, souvent de création récente, les plus réputées étant celles de Bologne, de Paris et, pour l'Angleterre, d'Oxford.
L'Université de Toulouse devait bien évidemment donner un enseignement de théologie pour lutter efficacement contre l'hérésie, lequel était complété par un enseignement des arts libéraux, de grammaire, et de droit. Et très vite, et pour des siècles, ce fut précisément en droit que se distingua l'Université de Toulouse.
Le parrainage du pape avait beaucoup d'avantages, il impliquait que les diplômes de l'Université toulousaine étaient reconnus dans toute la Chrétienté (certaines universités attendirent longtemps un tel privilège), mais surtout que le pape soutenait les efforts de l'Université pour s'implanter et prospérer, soutien sans doute bien nécessaire au début pour une université créée ex nihilo.
Ainsi en 1233 une bulle de Grégoire IX, désireux de promouvoir la nouvelle université qu'il avait portée sur les fonts baptismaux, autorisait les maîtres de l'Université de Toulouse à pouvoir enseigner dans n'importe quel studium (école ou université) sans passer d'examen préalable. Ce privilège papal jusqu'alors inédit, appelé Jus ubique docendi, fut vite envié et recherché par les autres universités d'Europe. Même les universités les plus anciennes et réputées telles Bologne ou Paris, qui snobèrent au début cette distinction papale car leurs professeurs bénéficiaient de fait et par tradition de cet avantage, en vinrent finalement à la réclamer.
Des bulles papales dotèrent ensuite l'université toulousaine des mêmes statuts et privilèges que l'Université de Paris : la bulle Parens scientiarum qui règlementait depuis 1231 l'Université de Paris s'appliqua en 1245 à celle de Toulouse.
Après des débuts timides, l'Université gagna en quelques décennies un rayonnement national et même européen. Ses docteurs-régents étaient consultés dans certaines affaires du royaume délicates du point de vue du droit, elle eut également une place importante aux conciles de Constance (1414-1418), Bâle (1431) et Ferrare (1437) par exemple. Tout au long du XIVème siècle, alors que la papauté avait quitté Rome pour Avignon et qu'une lignée de papes issus du sud de la France avait pris place sur le trône de saint Pierre, l'Université toulousaine fut pour la curie avignonnaise un gros vivier de juristes maîtrisant le droit romain et parlant la langue d'oc. De nombreux cardinaux et même quelques papes furent issus de ses rangs en tant qu'étudiants ou/et enseignants : Urbain V, Innocent VI et Jean XXII. Au XVème siècle la papauté s'en étant retournée à Rome c'est le Parlement de Toulouse - principale cour de justice du Midi de la France - qui constitua alors le débouché principal pour ses diplômés.
Comme ce fut souvent le cas pour les universités médiévales, et contrairement à notre époque, il n'existait alors pas de bâtiment spécifiquement construit pour accueillir les salles de cours. Les professeurs louaient généralement des salles où ils dispensaient leur enseignement à des élèves peu nombreux. Souvent l'enseignement était donné par des religieux qui utilisaient alors une salle de leur couvent. De ce fait il n'existe pas à Toulouse de bâtiment médiéval complètement dédié à l'enseignement de l'Université (les premiers n'apparaîtront qu'au début du XVIème siècle). Le monument qui se rapproche le plus d'une notion de "siège historique" est le couvent des Jacobins, qui accueillait les assemblées (alternativement avec le couvent des Cordeliers) et dont le clocher abritait la cloche unique de l'Université qui sonnait la reprise des cours. Toutefois son rôle et son symbolisme dépassèrent largement le cadre de l'Université, il s'avère donc que les plus anciens bâtiments spécifiquement liés à l'Université de Toulouse sont des collèges, établissements destinés à l'hébergement des étudiants que l'on retrouve dans la plupart des villes universitaires médiévales.
Plus d'une vingtaine de ces collèges furent fondés à l'époque médiévale dans le quartier latin de Toulouse, "le bourg" autour de la basilique Saint-Sernin, il n'en reste de nos jours qu'une poignée et leur affectation a bien évidemment changé. Faisons donc un petit tour photographique de ces "survivants".
Il est actuellement séparé en deux parties avec cour, la première rue du Taur et la deuxième rue des Lois et rue de l'Esquile. Créé en 1417, il a été "refondé" et reconstruit vers 1550 en absorbant 8 vieux collèges. Au 69 rue du Taur se trouve le portail Renaissance de ce collège, réalisé par Nicolas Bachelier en 1556 (cf. rubrique sur l'architecture Renaissance).
Egalement situé rue du Taur ce collège date du XIVème siècle avec une partie, la tour Maurand, du XIIème siècle. Il fut fondé en 1360 par Hélie de Talleyrand-Périgord, évêque de Limoges, dont l'influence était si grande au sein de l'Eglise qu'on l'a qualifié de "grand faiseur de papes". Les façades sur la vaste cour furent refaites au début du XIXème siècle, à l'exception toutefois d'une partie ayant conservé une galerie en bois d'origine. Le portail du début du XXème siècle est une réplique de celui Renaissance du collège de l'Esquile situé en face, rappelant la destination commune de ces deux collèges universitaires.
Ce bâtiment qui abrite de nos jours le Musée des Antiques et ses belles collections romaines a commencé par être un hôpital du XIème siècle, voisin et contemporain de la basilique Saint-Sernin dont il était une dépendance, et initialement destiné aux pauvres et aux pèlerins faisant le chemin de Compostelle par la Via tolosane. Il doit son nom à son fondateur, saint Raymond Gayrard, chanoine de Saint-Sernin. Dès 1233 sa destination changea et il devint l'un des tout premiers collèges toulousains, réservé aux étudiants pauvres. Le beau bâtiment actuel date de 1523, il est l'oeuvre de Louis Privat (architecte également de la cour Renaissance de l'hôtel de Bernuy quelques années plus tard), et ses façades furent partiellement restaurées par Viollet-le-Duc au XIXème siècle (le toit également a dû être rehaussé car il n'est plus au niveau des gargouilles).
Ce collège fut fondé en 1457 par l'évêque de Comminges Pierre de Foix. Le plus grand bâtiment est d'origine (XVème siècle), à l'exception d'un dernier étage de mirandes ajouté au XVIIème siècle. Pierre de Foix y avait assemblé une fameuse bibliothèqe issue pour une grande part du fonds de l'antipape Clément VIII, elle fut plus tard rachetée par Colbert et ses ouvrages se trouvent aujourd'hui à la BNF.
En 1566, dix ans après la mort de Jean de Bernuy, l'hôtel de Bernuy et des parcelles voisines furent rachetés par les trois capitouls Pierre Delpech, Pierre Madron et Jean de Gamoy pour être donnés à la Ville aux fins d'y installer un collège jésuite. Il subsiste du Collège jésuite un grand portail de style Renaissance édifié en 1605, dont Rodin lui-même avait dans des dessins souligné le travail. Le décor sculpté dans la pierre portait les blasons des huit capitouls de l'année ainsi que les doubles blasons de France-Navarre à gauche et de Toulouse-Languedoc à droite.
Contrairement aux collèges médiévaux ce collège jésuite assurait lui-même l'enseignement des élèves, il ne faisait donc pas administrativement partie de l'Université toulousaine mais s'autorisa cependant au XVIIème siècle à délivrer des diplômes au nom de celle-ci, ce qui provoqua un procès avec l'Université que le Parlement trancha en faveur de cette dernière. Il fut finalement agrégé à l'Université à la fin du XVIIème siècle. Devenu ensuite le collège de Fermat, il assure une fonction d'enseignement depuis 450 ans.
C'est à ce même emplacement que furent construites les premières salles de cours propres à l'Université, vers 1520, suite à un arrêt du Parlement obligeant les capitouls à financer leur construction. En 1540 elles furent brûlées par une émeute d'étudiants, et les capitouls les firent reconstruire avec tant de magnificience qu'ils les trouvaient "les plus belles écoles de la Chrétienté". Mais deux siècles plus tard le temps a fait son oeuvre et les voilà "ruinées", les archives montrent que les capitouls rechignent alors à financer seuls leur reconstruction. Les bâtiments actuels datant de la fin du XIXème siècle sont donc bâtis sur un emplacement historique de l'Université.
C'est à la fin du XIXème siècle que la vocation scientifique de Toulouse commença à s'affirmer. Sous l'impulsion de Jean Jaurés notamment (alors adjoint au maire) des locaux flambant neufs furent inaugurés en 1891 sur les allées pour abriter la faculté des sciences puis celle de médecine et de pharmacie. C'est dans ces locaux que travailla et enseigna Paul Sabatier, prix nobel de chimie en 1912, qui donna une impulsion décisive à l'enseignement scientifique toulousain. Dès 1920 les étudiants en science étaient deux fois plus nombreux que ceux en droit, malgré sa modernité la faculté des sciences allait vite être à l'étroit dans ces locaux et se voir obligée de déménager sur le campus de Rangueil.
En 1323 sept "troubadours" fondent à Toulouse le Consistoire du Gai Savoir (Consistori del Gay Saber), de son nom complet "La Sobregaya Companhia Dels VII Trobadors de Tolosa" (la Compagnie très gaie des sept troubadours de Toulouse), pour faire revivre et perpétuer la poésie lyrique des troubadours. Cette académie poétique est considérée comme la plus ancienne institution littéraire du monde occidental. Chaque année cette société organisait à Toulouse un concours de poésie en langue d'Oc, le vainqueur recevait une violette dorée à l'or fin offerte par la Ville. En 1393 l'institution et son concours étaient devenus si célèbres que le roi d'Aragon fit fonder à Barcelone un consistoire et des jeux sur le même modèle que ceux de Toulouse.
Bien plus tard le Consistoire du Gai Savoir fut transformé en académie royale par Louis XIV : l'Académie des Jeux floraux. L'occitan fut alors remplacé par le français, avant de revenir au programme à ses côtés en 1895. Parmi ses lauréats se comptent Ronsard, Voltaire, Chateaubriand, Frédéric Mistral, Fabre d'Eglantine (qui ajouta à son nom, Fabre, celui de la fleur qu'il remporta), Victor Hugo... ce dernier, jamais récompensé par l'Académie française, se consolait en rappelant qu'il avait dans sa jeunesse été primé par une académie plus vénérable encore.
La personnification du Consistoire du Gai Savoir / Académie des Jeux floraux s'est incarnée en la personne de Clémence Isaure, figure semi-légendaire réputée restauratrice de l'institution à la fin du XVème siècle ou au début du XVIème siècle. Devenue un symbole de Toulouse et une allégorie de la poésie, Clémence Isaure a droit à sa statue au Jardin du Luxembourg à Paris, au milieu de 19 autres reines et femmes illustres de France.
Enjeu de prestige, l'Académie fut l'objet d'âpres luttes entre capitouls et parlementaires pour s'octroyer les places de mainteneurs. Aujourd'hui l'Académie et le concours sont toujours bien vivants, et comme au Moyen Age des fleurs d'argent (et plus rarement d'or) sont toujours distribuées pour récompenser les lauréats.
En 1356, dans le but de réunir les critères linguistiques leur permettant de juger au mieux les oeuvres présentées aux concours et dans un mouvement de défense et d'illustration de leur langue qu'ils jugeaient parvenue à son classicisme, les mainteneurs du Gai Savoir demandèrent à un avocat toulousain, Guilhem Molinier, de rédiger un traité de grammaire et de rhétorique occitanes : Las Leys d'Amors ("les lois de la langue", qui littéralement signifie "les lois de l'Amour"... n'est-ce pas remarquable d'assimiler ainsi sa langue à l'amour ?). Aucune autre langue en Europe ne s'était alors dotée d'un tel système de codification, de ce fait les Leys parviendront à une grande notoriété, et vont influencer les poètes écrivant tout autant en catalan qu'en galicien ou en italien, pour lesquels ils serviront de référence.
En 1443 Charles VII crée à Toulouse le premier parlement de province. Cette création répond à un besoin depuis longtemps exprimé par les Etats de Languedoc : le sud de la France est une terre où on parle la langue d'oc, et non la langue d'oïl comme dans le nord, et surtout il est régi par le droit romain écrit, alors que le nord du pays a pour base juridique le droit coutumier oral des Francs. Tout cela fait du Parlement de Paris, éloigné géographiquement, une instance peu pratique pour rendre la justice (en appel) dans la France méridionale.
Cour de justice royale, le Parlement de Toulouse est jusqu'à la Révolution le sommet de la chaîne judiciaire du Midi de la France. Il a compétence en dernier ressort sur les affaires judiciaires mais aussi économiques, politiques, administratives... Egalement chambre d'enregistrement des lois, aucune disposition légale ne peut s'appliquer dans le Midi sans avoir été enregistrée par le Parlement, il se mêle donc d'un peu tout et défend les intérêts du roi avec beaucoup de zèle, du moins à ses débuts car par la suite il devient plus rétif et s'autorise parfois un droit de remontrance à l'égard du monarque !
À sa création le Parlement de Toulouse étend son influence sur toutes les terres françaises de langue d'oc, c'est à dire après la reconquête de la Guyenne de l'Atlantique au Rhône et des Pyrénées au Massif central, soit bien au-delà des limites de la seule province de Languedoc. Suite à la création du Parlement de Bordeaux en 1462 il perd une partie de son territoire à l'ouest, mais des parlements de province qui sont créés à sa suite il reste celui avec le plus vaste ressort ainsi que le plus prestigieux, par exemple seuls les premiers présidents et présidents à mortier des parlements de Paris et Toulouse avaient le droit de se coiffer de leur toque de velours noir, ceux des autres parlements devaient se contenter de la porter à la main !
La création du Parlement a fatalement pour conséquence la diminution de l'importance du capitoulat, puisqu'il concentre désormais dans ses mains des pouvoirs auparavant dévolus aux consuls municipaux. Il est de tradition que chaque année les capitouls offrent des cadeaux aux présidents, conseillers, gens du roi ainsi qu'aux principaux avocats. Une véritable dépense pour la Ville quand on songe qu'à la fin du XVIème siècle le nombre des membres du Parlement s'élève à plus de cent. Encore s'agit-il là du sommet d'un monde judiciaire qui au XVIIIème siècle fait vivre un Toulousain sur cinq (si on compte les familles et les domestiques).
Etre parlementaire signifie appartenir à une classe de noblesse de robe très prestigieuse : "ce second sénat du royaume" avait même écrit un chroniqueur du XVIème siècle (le premier étant bien entendu le Parlement de Paris). Le Premier président marche à l'avant de toutes les processions en ville, et la rentrée parlementaire est chaque année un événement à Toulouse. Elle se tient tous les 11 novembre, à la saint-Martin, y assistent en grande tenue les ducs et pairs, les gouverneurs de la province, les prélats, évêques et vicaires, les trésoriers généraux... et bien d'autres dont les capitouls.
Gravure de 1515 représentant une séance solennelle au Parlement de Toulouse :
Dans le palais de justice actuel demeurent quelques vestiges de l'ancien parlement :
Pour en découvrir plus sur les salles patrimoniales et autres éléments historiques conservés, je vous conseille ce petit film de 9 minutes du Ministère de la justice, très bien fait (pensez à activer le plugin flash et à mettre la vidéo en haute qualité).
Ailleurs on les appelle consuls ou échevins. À Toulouse, et seulement à Toulouse, on les nomme capitouls. Un nom qu'ils se sont eux-mêmes choisi, mais pourquoi cette singularité, qui leur vaut une renommée certaine, voit-elle le jour dans cette ville ? Ce ne peut pas être qu'un effet du langage, car pendant des siècles on parle la langue d'oc dans tout le Midi de la France. Peut-être, sans vouloir minimiser les particularités et accomplissements des magistrats des autres villes, faut-il y voir le reflet d'une ambition et d'efforts incessants qui font des capitouls un cas un peu à part dans le paysage municipal français du temps jadis.
Les capitouls apparaissent en 1147, comme conseillers du comte Alphonse Jourdain chargés de l'administration de la ville. Au cours de leur longue histoire (de 1147 jusqu'à la Révolution, soit près de 650 ans) leurs prérogatives varient. Leur nombre aussi même s'il finit par se fixer à huit, chacun représentant un des huit capitoulats de la ville (sortes d'arrondissements avant l'heure). Petits nobles, médecins, hommes de lois ou marchands, les capitouls sont des consuls élus pour un an.
Devenir capitoul confère un état de dignité assorti de divers privilèges. Parmi ceux-ci, citons sans être exhaustif le droit de n'être pas mis à mort ni torturé en cas de condamnation (bien qu'il y eût quelques exceptions au fil des siècles), des exemptions fiscales, des avantages en nature très variés (torches, confitures, cire, sel...), mais surtout des privilèges honorifiques fort prisés comme le costume, et le droit d'image dont découlent les portraits et les miniatures des Annales... il arrive qu'en cas de condamnation les portraits soient effacés, et même repeints en cas de réhabilitation ! Enfin le graal est atteint au XVIème siècle avec l'accession automatique à la noblesse pour les capitouls qui ne sont pas déjà nobles.
La robe des capitouls est rouge et noire :
Pour illustrer les tâches dévolues aux capitouls ainsi que les qualités dont il leur faut faire preuve dans l'exercice de leurs fonctions, nous avons la chance de pouvoir nous appuyer sur deux tableaux de la Renaissance toulousaine aujourd'hui exposés au musée des Augustins.
Le premier tableau, attribué à Arnaut Arnaut (vers 1570), placé devant la salle des conseils, s'intitule "Les Quatre fonctions du capitoulat toulousain". Les allégories illustrent les charges que les capitouls assurent : la justice municipale avec l'épée et la balance, les réparations et travaux publics avec un pic, une truelle et une portion de muraille, l'administration des hôpitaux avec une chapelle et les attributs des pèlerins de Saint-Jacques, ainsi que la police des métiers, avec des instruments de mesure. À leurs pieds, des poids et mesures évoquent la réglementation et la surveillance du commerce. Ceux qui suivent auront peut-être noté que ça fait cinq fonctions, mais la dernière n'a pas eu droit à son incarnation féminine.
Le second tableau, de Jacques Boulbène (1594-95), destiné à la salle des conseils, représente la Providence, l'Honneur et la Vigilance et célèbre les vertus morales des capitouls dans un langage volontairement cryptique alors très apprécié des élites. Allégories, emblèmes et citations grecques et latines subliment l'ambition intellectuelle des magistrats et leur glorieux héritage antique, rappelant par la culture savante leur rang privilégié. La Providence, chouette sur l'épaule, incarne Pallas-Athéna, protectrice de la Palladia Tolosa.
Si vous souhaitez voir ces deux tableaux en détail, cliquez sur ce lien pour le premier et sur celui-ci pour le second.
En 1188, les capitouls profitent de l'éloignement du comte Raymond V et de ses démêlés militaires sur ses terres provençales pour arracher l'autonomie, Toulouse forme alors pendant quelques décennies une sorte de république à l'italienne. Dès 1190 ils installent leur maison commune à l'emplacement de l'actuel Capitole, à la jonction de la cité et du bourg. Cette autonomie quasi complète est remise en question après la croisade des albigeois, le comte Alphonse de Poitiers notamment entend revenir sur certaines de leurs prérogatives, arguant qu'elles ont été arrachées à son prédécesseur Raymond V sans que celui-ci y ait consenti réellement.
Dès le rattachement de Toulouse à la Couronne de France, en 1271, les officiers royaux cherchent à remettre en cause les privilèges des capitouls, leur demandant de produire les chartes et documents prouvant leurs prétentions... ce que ceux-ci semblent bien en peine de faire. Un accord est trouvé moyennant finance, portant notamment sur le mode de désignation des capitouls, mais ces derniers comprennent bien qu'il est de la plus haute importance de conserver précieusement leurs documents officiels et d'assoir la légitimité de leur institution par tous les moyens possibles. C'est dans ce contexte qu'ils décident dès la fin du XIIIème siècle de tenir des Annales manuscrites de la ville, que nous aborderons dans le chapitre suivant.
À la Renaissance les capitouls font appel à des érudits tel Guillaume de la Perrière pour mettre en valeur l'histoire de la ville et de son institution capitulaire. Le capitoulat prétend notamment tenir son ancienneté de l'antiquité romaine et de l'empereur Théodose. Derrière cette légende (puisque le capitoulat ne fut créé "que" en 1147), il s'agit pour l'institution de revendiquer une légitimité plus ancienne que celle des rois de France afin de donner plus de poids à ses revendications. On renoue alors avec la Palladia Tolosa des poètes latins Martial, Ausone et Sidoine Apollinaire, la Toulouse antique placée sous le patronage de la déesse Pallas-Athéna (Minerve) présentée comme protectrice des sciences et des arts. En 1522 l'hôtel de ville de capitulum (chapitre) devient Capitolium (Capitole), traduisant la volonté d'imiter Rome et ses références antiques. Tout d'abord contestée par les agents royaux, cette obstination à glorifier l'institution finit à la longue par porter ses fruits : Au XVIIIème siècle le roi Louis XV écrit "Lesdits capitouls de Toulouse acquièrent par leur charge, pour eux et pour leurs descendants, le droit de noblesse. Ils ont joui de tout temps de de ce droit, même avant l'union du comté de Toulouse à la Couronne et cette noblesse est si ancienne qu'on n'en connaît pas l'origine."
Désireux de consigner par écrit leur histoire et leurs privilèges, les capitouls créent en 1295 ces exceptionnelles Annales manuscrites, une collection de 12 gros registres sur parchemin dans lesquels ont été écrits les récits des événements notables survenus chaque année entre 1295 et 1787, accompagnés d'enluminures, dont les portraits des capitouls. Malgré un autodafé lors de la période révolutionnaire qui en fait disparaître un grand nombre, elles constituent une collection unique en Europe, à laquelle ne peut se comparer que celle des registres de la trésorerie de Sienne qui ne sont cependant pas la même expression du pouvoir municipal.
Je montre ci-dessous une sélection de certaines des enluminures, représentative de chaque époque, mais l'ensemble peut-être vu sur le compte Flickr des Archives municipales de Toulouse.
L'affirmation de l'honorabilité et du pouvoir de l'institution capitulaire s'est également exprimée dans la pierre... ou plutôt faudrait-il dire la brique, la pierre et le marbre. Une fois n'est pas coutume, nous procèderons à contresens de l'histoire pour ce petit tour d'horizon : du plus récent au plus ancien.
Souvent en concurrence sociale avec les parlementaires installés à Toulouse à partir de 1443, lesquels n'hésitent pas à casser les arrêtés municipaux quand ça leur chante, les capitouls finissent en 1750 par donner corps à une vieille idée qui les travaille depuis longtemps : doter leur maison commune d'une façade monumentale propre à rehausser leur prestige et à en imposer à leurs rivaux du Parlement. Il s'agit là d'un effort inaccoutumé pour des capitouls dont le court mandat d'un an ne les encourage habituellement pas à se lancer dans des projets à long terme. La façade est élevée de 1750 à 1760 par Guillaume Cammas, elle unifie en apparence des bâtiments restés disparates derrière elle (eux-mêmes remaniés ultérieurement).
Plusieurs statues surmontent le Capitole, représentant la Justice et la Force au-dessus du fronton, Clémence Isaure et Pallas à gauche, et la Tragédie et la Comédie à droite au-dessus du théâtre qui occupe un bon tiers du bâtiment. Sous le fronton huit colonnes en marbre incarnat de Caunes-Minervois symbolisent les huit capitouls.
La cour Henri IV est élevée dans les premières années du XVIIème siècle, sous le règne d'Henri IV, par l'architecte Pierre Souffron qui met ici en oeuvre une architecture brique et pierre qui aura du succès à Toulouse tout au long de ce siècle. Le morceau de bravoure de cette cour est le portail triomphal que nous avons déjà croisé dans la partie sur l'architecture Renaissance, je ne m'y attarderai donc pas beaucoup ici, mais on se souviendra qu'il est le support de discours politiques allégoriques à la gloire de Toulouse pour ses parties de 1546 et de 1561, et à celle d'Henri IV pour sa partie supérieure contemporaine de l'édification de cette cour.
Il est intéressant de revenir sur la lutte d'influence et de pouvoir qui présida à la naissance de cette cour. Les capitouls du début du XVIIème siècle, désireux de construire une galerie pour afficher leurs portraits et leurs blasons et ainsi assurer leur postérité, se trouvent confrontés à l'opposition du Parlement qui bloque les crédits. Il existe cependant un moyen de passer "par-dessus la tête" du Parlement, dont les capitouls useront également sous Louis XIV pour obtenir l'autorisation de construire la place du Capitole confrontée au même problème : demander directement l'autorisation au roi. Moyen efficace mais qui impose une contrepartie, il faut que le roi y trouve son intérêt. Ainsi est donc lancé le chantier de cette cour qui portera le nom du monarque (Henri IV), de même que sa statue en marbres des Pyrénées, moyen pour Henri IV d'affirmer son autorité et de restaurer son image dans une ville dont le parlement ultra-catholique s'est quelques années plus tôt vivement opposé à son accession au trône.
De l'autre côté de la cour se trouve un autre portail datant de 1678 et ouvrant vers la place du Capitole, il est l'oeuvre de Pierre Jalbert et Jean Verdilhac. Il est coiffé de deux figures représentant dame Tholose portant une brebis et Pallas-Athéna protégeant Toulouse, oeuvres du sculpteur Philibert Chaillon. Dame Tholose est une allégorie à l'identité parfois changeante : représentant à la fois la femme toulousaine ordinaire, la Belle Paule et Clémence Isaure, il arrive qu'on l'identifie aussi à Pallas-Athéna (ce qui n'est pas le cas ici puisque cette dernière est représentée séparément).
La cour Henri IV est en 1632 le théâtre d'une autre affirmation du pouvoir royal : pour avoir conspiré contre le cardinal de Richelieu avec Gaston d'Orléans, frère du roi, le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, est condamné à mort par le Parlement de Toulouse. Richelieu entend en faire un exemple afin que Gaston d'Orléans, intouchable héritier du trône car Louis XIII n'a pas encore d'enfant, ne trouve plus de soutien dans ses entreprises déstabilisatrices. Venu sur place, Louis XIII fait au duc la grâce d'une exécution privée dans la cour Henri IV du Capitole plutôt qu'en place publique comme il est prévu. Le duc, s'il manque peut-être de discernement dans ses alliances, ne pêche cependant pas par manque de panache : il demande pardon au roi puis ses derniers mots sont pour le bourreau « Frappe hardiment ». Cette mise à mort d'un duc et pair, issu d'une des plus illustres familles de la noblesse, frappe l'opinion et impose l'image d'une raison d'État terrible et implacable, mettant au pas la noblesse.
Craignant une incursion de l'armée espagnole qui maneuvre dans les Pyrénées, et soucieux de mettre à l'abri leur réserve de poudre et leurs archives (dont les Annales manuscrites), les capitouls font bâtir entre 1525 et 1530 cette tour qu'on appelle aujourd'hui "le donjon" pour son aspect fortifié. Au rez-de chaussée se trouve le Petit consistoire, salle prestigieuse où les capitouls tiennent leurs réunions privées. À l'étage, accessible par une tour d'escalier contiguë appelée Tour de la vis (aujourd'hui disparue), se trouvent donc les archives et la réserve de poudre (détonnant mélange, heureusement sans conséquence). Au début du XIXème siècle le toit est ruiné, le bâtiment entier est menacé quand intervient le célèbre architecte Viollet-le-Duc. Il coiffe la tour toulousaine d'un couronnement qui tient franchement du beffroi flamand, parfois décrié pour son style peu traditionnel, mais qui aura au moins le mérite de sauver la tour.
En 1525 l'architecture de la Renaissance a déjà fait son apparition à Toulouse, néanmoins le donjon qu'on veut solide est encore de style gothique. Une porte aujourd'hui murée est cependant couronnée d'un édicule disposé à la manière d'un temple antique dont les chapiteaux des colonnes mettent en ouvre la superposition des ordres dorique et ionique. Les capitouls s'y présentent tels des consuls romains : sous les blasons de capitouls martelés à la Révolution, une inscription en latin gravée dans la pierre dit FIEBAT ANNO CHRISTIANAE SALUTIS MDXXV IDIBS NOVEBR NOBILIBUS PREINSIGNITIS CAPITOLINIS DECURIONIBUS, qui signifie "A été fait l'année du salut 1525, aux ides de novembre, par les nobles et très distingués décurions du Capitole". En se posant en "décurions" siégeant dans un "Capitole" les capitouls de la Renaissance espéraient mettre en avant une légitimité historique remontant à l'Antiquité romaine et dépassant celle des rois de France, face à une administration royale et à un parlement qui tendaient de plus en plus à limiter leurs prérogatives. Cette prétention du capitoulat à voir dans la Palladia Tolosa romaine une légitimation de ses privilèges créait des liens idéalisés entre l'élite toulousaine et la Rome antique.
Nous allons terminer cette évocation de l'institution capitulaire avec une oeuvre véritablement remarquable de la Renaissance toulousaine, qui se rattache au thème de l'architecture de prestige de ce chapitre par son rôle d'ornement : de 1550 à 1833 elle trône en effet en tant que support d'une girouette sur le toit du donjon du Capitole, jusqu'à la rénovation de ce dernier par Viollet-le-Duc. On la retrouve ensuite, dotée d'ailes qui la transforment en Victoire, au sommet de la colonne Dupuy où, malgré sa haute position, elle tend peu à peu à sortir de la mémoire des Toulousains en tant que chef-d'oeuvre de la Renaissance avant d'être "redécouverte" voilà seulement quelques années par les historiens toulousains. Commandée par les capitouls, cette statue de bronze (alors doré) à laquelle on a donné le nom de Dame Tholose est l'oeuvre du sculpteur Jean Rancy et du fondeur Claude Pelhot. Toulouse profite là de la présence de son imposant arsenal (qui fabrique armes, canons et cloches) pour réaliser la fonte de cette statue de grande taille, une première en France en dehors des ateliers du roi.
Nul, pas même en Italie, ne s'était alors risqué à une oeuvre aussi dynamique, campée sur un seul appui (Jean de Bologne fit son Mercure volant plus de 15 ans plus tard). Avec cette oeuvre Rancy s'affirme comme étonnamment précoce, par la maîtrise du drap mouillé qui fera la force de Jean Goujon, par la science des gestes, des torsions et des multiples points de vision, principe qui sera théorisé par Cellini, ou encore par l'inédit élancement du corps.
Elle tenait une girouette dans sa main droite et s'appuyait de sa main gauche sur un écu aux armes de la ville. Sur l'écu étaient inscrites les lettres CPQT MDL, soit Capitulum Populusque Tolosanum 1550, "le capitoulat et le peuple de Toulouse" qui, à la manière du SPQR romain, renvoyait à Rome et à l'idée de République urbaine, les capitouls de la Palladia Tolosa se targuant de siéger au sein d'un Capitole (cf. catalogue Toulouse Renaissance, article de Pascal Julien).
Crédit photo : Didier Descouens, Wikimedia Commons.
Si l'aventure toulousaine contée dans ces quelques pages web trouve sa conclusion avec ce bronze Renaissance de Dame Tholose, ce n'est pas un hasard. D'une certaine manière l'histoire de cette statue m'évoque irrésistiblement les grandeurs et les vicissitudes qu'a vécues le patrimoine toulousain, qu'il soit architectural mais aussi historique ou artistique. Tour à tour brillant, négligé, parfois malmené, mais finalement étonnament préservé pour l'essentiel, il ne tient qu'à nous, Toulousains du XXIème siècle, de lui faire la place qu'il mérite et de veiller à sa sauvegarde et à sa mise en valeur.