Toulouse connaît à la Renaissance un âge d'or, dû principalement à son rôle dans le commerce international du pastel et à l'influence croissante de son Parlement, le premier de province en ancienneté comme en importance. Cette prospérité se retrouve dans son architecture et notamment dans ses hôtels particuliers, au point qu'à la fin du XVIème siècle l'érudit Joseph Juste Scaliger décrit Toulouse comme la plus belle ville de France : « Toulouse était bâtie de sapins, il y a 70 ans ; le feu s'y prit, il brûla 800 maisons ; depuis ils ont bâti de brique et de marbre. C'est la plus belle ville de France. Ce sont des palais que les maisons. »
SOMMAIRE :
Première partie : à la découverte du patrimoine Renaissance par quelques collections
Deuxième partie : de beaux hôtels, une fontaine et un Pont Neuf
Pourquoi ce choix de présenter en première partie des "collections" d'éléments architecturaux, et de réléguer en deuxième partie les grands hôtels particuliers ou autres monuments de la Renaissance toulousaine ?
C'est que si l'intérêt patrimonial des monuments est reconnu, celui de "collections" regroupant des éléments éparpillés sur diverses structures pourrait a priori sembler moindre. Je suis pourtant d'avis que c'est grâce à elles que l'internaute non averti pourra le mieux mesurer l'exceptionnelle richesse architecturale que la Renaissance a léguée à Toulouse.
Il est assez probable que dans nulle ville de France (et dans bien peu de villes d'Europe) on ne pourrait trouver l'équivalent de la surprenante richesse et diversité de portes, portails ou fenêtres Renaissance que peut compter Toulouse.
Si elles étaient alignées dans la même rue, ou regroupées dans un même quartier, de telles richesses architecturales auraient certainement une renommée plus fameuse encore. Mais dispersées dans le centre-ville elles courent le risque de rester sous-estimées, de briller comme des étoiles solitaires plutôt que comme des constellations. C'est donc pour pallier à cet inconvénient que nous allons aborder le patrimoine architectural toulousain de la Renaissance par le moyen de ces "collections".
Note : le contenu de cette page m'a servi de modèle pour créer un article wikipedia sur l'architecture Renaissance de Toulouse.
En parcourant cette collection qui regroupe aussi bien les petites portes que les grands portails, vous serez peut-être surpris par la grande diversité des modèles relevés. C'est là une des caractéristiques de l'architecture Renaissance toulousaine que de piocher à une multitude de sources et d'influences. La mode changeait vite, les commanditaires étaient avertis et exigeants, et les maîtres d'oeuvre et artistes devaient toujours être au fait des dernières nouveautés tout en étant capables de les adapter au contexte local.
Avec le portail d'entrée, le signe le plus manifeste du statut social d'un commanditaire reste la fenêtre sculptée. L'emploi de la pierre sur fond de brique met en évidence ces ouvertures qui constituent, comme en Italie, autant de motifs isolés. La rupture avec le style du gothique flamboyant se trouve exprimée par le terme « à l'antique » utilisé dans les marchés de construction, mais cette formulation recouvre en réalité des solutions très diverses et qui ne cesseront d'évoluer.
Je vais tâcher de vous montrer ici non pas chaque fenêtre (il y en aurait trop et cela manquerait d'intérêt) mais chaque type de fenêtre que j'ai pu recenser, dans un ordre approximativement chronologique bien que des incertitudes existent pour certaines d'entre elles.
Appréciés dans les premières décennies de la Renaissance, les médaillons sculptés dans la pierre sont le reflet du goût des humanistes de cette époque pour les collections de médailles et de monnaies antiques. Se donnant des profils de Césars, les riches propriétaires des hôtels particuliers se font ainsi représenter avec leur famille.
Des évolutions de style sont perceptibles : une couronne végétale, appelée "chapeau de triomphe", vient enrichir l'encadrement du médaillon et évoquer les triomphes romains (laurier). Après 1540 une évolution mène à des bustes dépourvus d'encadrement, comme sur la tour de l'hôtel de Brucelles édifiée en 1544. Ce type de décor se fait ensuite plus rare, remplacé au milieu du XVIe siècle par les ordres d'architecture.
Après 1540 les encadrements de portes et de fenêtres de la Renaissance sont souvent le terrain d'expression de l'ordre caryatide, évolution du style classique. Ces supports anthropomorphes, en termes (sans bras et engainés) ou en atlantes et caryatides (portant de leurs bras une charge ou un entablement), connaissent à Toulouse de spectaculaires réalisations. Inspirés des stucs des châteaux royaux de Madrid ou de Fontainebleau et de traités architecturaux tels ceux de Philibert Delorme, Jacques Androuet du Cerceau, Marcantonio Raimondi, ils sont déclinés pendant plusieurs décennies.
La question de la datation exacte de certaines oeuvres divise cependant les historiens de l'art, en particulier pour les plus remarquables exemples que l'on trouve sur le portail de l'hôtel de Bagis (ou hôtel de pierre) et sur les fenêtres de l'hôtel du Vieux-Raisin. Mais qu'elles soient de la première moitié du XVIème siècle ou de la fin de la période Renaissance, ces oeuvres d'un grand réalisme sont un beau témoignage de la qualité des artistes qui oeuvraient à Toulouse à la Renaissance.
Les hôtels Renaissance de Toulouse, qui forment sans doute la plus remarquable collection de demeures urbaines de cette époque en France, se caractérisent par une architecture savante qui reposait sur les livres illustrés de gravures montrant les monuments de Rome ainsi que sur les traités d'architecture comme ceux de Vitruve, d'Alberti ou de Serlio. Autres sources d'inspiration : le val de Loire bien sûr avec les chantiers royaux de Louis XII et de François Ier, mais aussi les châteaux de la capitale tels ceux de Madrid, du Louvre et de Fontainebleau. Les propriétaires éclairés réclamaient des éléments « à l'anticque », que l'on retrouve surtout sur les fenêtres, portails, cheminées et moulures.
D'abord marqué par un décor superficiel de motifs végétaux, grotesques et candélabres, où s'affirme la figure humaine sur des structures encore gothiques, ce nouveau style connut ensuite un épanouissement classique puis, malgré les guerres de Religion, s'enrichit de développements maniéristes des plus inventifs qui perdurèrent jusque dans les années 1610-1620.
En 1515 le juriste et capitoul Béringuier Maynier acquiert un hôtel du XVe siècle faisant autrefois partie de la grande parcelle de l'hôtel Dahus. Sur un nouveau logis encadré de deux tours d'escalier prolongées de deux courtes ailes (première travée des ailes actuelles), il fait placer de nombreuses fenêtres richement ornées de pilastres, de candélabres et de rinceaux. Des bustes en médaillon viennent décorer la grande tour d'escalier.
Après un séjour en Italie comme ambassadeur de 1515 à 1522, Jean de Pins entreprend en 1528-1530 la construction de sa demeure composée de deux corps de logis et de galeries superposées. Inspiré par ce qu'il a vu en Italie, il rompt avec la tradition toulousaine de la grande tour d'escalier pour lui préférer des galeries à arcades et un jardin. Des portraits en médaillon célèbrent la figure humaine et Jean de Pins fait sculpter des pilastres ioniques tirés de la gravure d'un traité consacré à l'architecture antique, publié en Italie en 1521, dont il a eu probablement connaissance lors de son séjour à Milan.
En étant établis dès 1530, les chapiteaux ioniques de l'hôtel de Pins sont un rare exemple en France de mise en oeuvre d'un ordre d'architecture antérieure aux publications de Sebastiano Serlio (1537), architecte italien recruté par le roi François Ier, qui fit connaître par ses traités largement diffusés les subtilités de l'architecture Renaissance classique italienne. Ils sont par exemple antérieurs de plusieurs années aux chapiteaux ioniques de l'hôtel de Bullioud à Lyon, dus à Philibert Delorme, qui passent pourtant pour être particulièrement précoces (1536).
Jean de Nolet, le propriétaire suivant, fait construire en 1542 une boutique à arcades sur rue. Pour décorer ses galeries il fait sculpter des portraits en médaillon par Nicolas Bachelier.
L'hôtel est en grande partie détruit par le percement de la rue du Languedoc au début du XXe siècle. Plusieurs vestiges de ce bâtiment, considéré au XVIème siècle comme un « magnifique palais » sont toutefois conservés et intégrés à l'hôtel Antonin élevé sur le même emplacement en 1903, ainsi qu'à l'hôtel Thomas de Montval bâti en 1904 rue Croix-Baragnon. À l'hôtel Antonin, l'architecte Joseph Thillet superpose artificiellement deux galeries : celle du rez-de-chaussée provient de la partie transformée par Nolet alors que celle de l'étage est due à Jean de Pins11. À l'hôtel Thomas de Montval ce sont des arcades de Nolet qui sont remontées dans la cour.
Construit entre 1526 et 1536 pour Jean d'Ulmo, président à mortier au Parlement, cet hôtel est le premier à Toulouse à adopter un escalier droit et non plus en vis. Le pavillon du perron, avec ses colonnettes de marbre et son dôme de pierre, est probablement du XVIIe siècle. Il est possible toutefois qu'un baldaquin du XVIe siècle qui se trouvait alors dans la cour du Parlement de Toulouse ait servi de modèle à celui-ci.
Après avoir commandité une première campagne de travaux dès 1502, conduisant notamment à l'érection de la tour d'escalier gothique (cf. partie sur l'architecture gothique), vers 1530 c'est à l'architecte Louis Privat que Jean de Bernuy confie la construction d'une nouvelle cour où se développe avec abondance le langage de la Renaissance. L'élément le plus remarquable de cette cour est la grande voûte surbaissée dont les cloisons des caissons, ainsi que les roses en leur centre, ne suivent pas la courbure de la voûte mais sont strictement verticales, ce qui a dû considérablement complexifier le travail du tailleur de pierre.
Au-dessus de la voûte les portraits en médaillon des propriétaires du lieu accueillent le visiteur (cf. plus haut collection sur les médaillons), alors qu'autour des fenêtres des colonnes utilisent pour la première fois à Toulouse des chapiteaux corinthiens. De longues colonnes-candélabres rehaussent l'exceptionnelle monumentalité de cette cour en pierre, on peut les rapprocher de gravures du traité Medidas del Romano (1526) de l'Espagnol Diego de Sagredo, signe de la diversité des influences s'étant exercées sur la Renaissance toulousaine.
Magnifique témoin de l'introduction de la Renaissance à Toulouse, cette cour a été partiellement reproduite à la Cité de l'architecture et du patrimoine au Palais de Chaillot afin d'illustrer le style de la Première Renaissance en France.
En 1528, Guillaume de Tournoer, deuxième président du Parlement, rachète l'hôtel Dahus bâti dans les années 1460-1470 (cf. partie sur l'architecture gothique). Vers 1532 il fait reconstruire la tour dont l'escalier en vis est, avec son pilier central torsadé, le plus spacieux et le plus beau de ce type de la Renaissance toulousaine. Au-dessus de la porte encadrée de pilastres à chapiteaux composites, deux beaux lions dressés entourent une urne funéraire qui évoquerait la mort du fils de Tournoer. La fenêtre qui surmonte la porte est couronnée d'un fronton trilobé orné de putti tenant une guirlande de fruits et une corne d'abondance. Une devise en latin prend place dans ce décor autour d'un blason martelé : ESTO MICHI DOMINE TURRIS FORTITUDINIS A FACIE INIMICI, « Sois pour moi, Seigneur, une tour de courage face à l'ennemi ».
En 1538 le parlementaire Jean de Bagis, memebre du Grand conseil du roi, confie la construction de son hôtel à Nicolas Bachelier et au maçon Antoine Lescalle, assistés dans la conception du projet par le prieur de La Réole, Jean Albert. Plus que par la recherche d'ornementation, la dignité qui sied à un si important commanditaire est recherchée par la régularité classique de la façade et par la sophistication des fenêtres où paraît pour la première fois à Toulouse l'ordre dorique. L'escalier n'est plus un escalier en vis placé dans une tour mais un escalier droit au cour du logis. Sa présence en façade est signalée par un portail aux splendides atlantes dont l'expressivité et la qualité d'exécution lui a longtemps valu d'être attribué au sculpteur et architecte Nicolas Bachelier. Toutefois, les travaux sous sa responsabilité ne faisant pas mention de ce portail, la datation et l'attribution de ces sculptures sont encore au cour des recherches actuelles. Dans la demeure, une cheminée monumentale est attribuée à Nicolas Bachelier.
C'est dans la petite cour d'honneur de cet hôtel des années 1540 que le conseiller au parlement Guillaume de Lamamye fait élever une façade de galeries à ordres superposés. De grandes colonnes doriques, ioniques puis corinthiennes se succèdent à chaque niveau de l'élévation, rappelant des monuments romains prestigieux tels que le Colisée ou le théâtre de Marcellus. Dans la cour se dresse également une grande tour d'escalier polygonale de la Renaissance.
Fils du célèbre marchand de pastel Jean de Bernuy, Guillaume de Nernuy, greffier au Parlement, emploie l'architecte Nicolas Bachelier à l'élévation de son hôtel entre 1540 et 1544. Bachelier y élève un portail monumental qui remplace la tour d'escalier dans son rôle symbolique. Bachelier reprend sa formule des fenêtres de l'hôtel de Bagis, qu'il enrichit de décors maniéristes influencés par l'art de la galerie François Ier du château de Fontainebleau.
Édifié en 1544 par le marchand drapier Arnaud de Brucelles (élu capitoul en 1534-35) sur une petite parcelle située en plein cour du quartier marchand, l'hôtel compte une très belle tour d'escalier qui se dresse dans une cour minuscule. Elle est ornée de bustes en pierre représentant chacun un personnage vêtu à l'antique ou à la mode du XVIe siècle. Les ordres dorique, ionique et corinthien se retrouvent sur les fenêtres de la tour et sur les galeries qui la jouxtent.
C'est entre 1540 et 1560 que le premier président au Parlement Jean de Mansencal fait élever son hôtel, doté d'une des plus hautes tours d'escalier de la ville. L'hôtel a malheureusement été mutilé par les dominicains qui l'avaient racheté, et ne conserve plus que deux des cinq travées d'origine de la façade sur jardin. Sur celle-ci, les ordrs dorique, ionique et corinthien se superposent sur des pilstres taillés dans la brique.
Elevé en 1556 pour le conseiller au Parlement Gaspard Molinier, le portail de la façade offre un mariage majestueux entre architecture savante, sculptures sophistiquées et polychromies fastueuses de pierre et de marbres (cf. collection de portes et portails plus haut). La devise SUSTINE ET ABSTINE (supporte et abstiens-toi) est gravée dans le marbre avec la date (1556). Selon l'illustre jurisconsulte et professeur de droit Jean de Coras qui exerçait au XVIème siècle à l'Université de Toulouse, cette devise enseignait la patience en encourageant à supporter ce qui est pénible, et éloignait des vices et des passions en inculquant la tempérance. Deux aiguières anthropomorphes masculine et féminine richement ornées sont placées sous les deux marbres de la devise : symboles de patience, d'humilité, de tempérance et d'abstinence, elles symbolisent l'intégrité et l'honnêteté du magistrat. Ce discours caché n'était accessible qu'aux élites, le propriétaire aspirant à faire partie de ce cercle restreint. A un autre niveau de langage les colonnes jumelées, les sculptures, les marbres signifiaient l'honorabilité du propriétaire à tous ceux qui ne pouvaient saisir la portée des références savantes.
Dans la cour le décor date de 1552, sous la couche de pollution qui le recouvre actuellement se cache un décor remarquable de finesse. Dans l'hôtel une cheminée doit sa forme à des modèles publiés par Jacques Androuet du Cerceau.
Venu du Rouergue, Pierre Assézat fait fortune dans le commerce du pastel dont il devient l'un des principaux négociants internationaux. Son hôtel se distingue par ses dimensions et son décor exceptionnels mais aussi par son très bon état de conservation, ce qui lui vaut d'être cité dans toutes les synthèses consacrées à la Renaissance française. Assézat charge le maçon Jean Castagné et l'architecte Nicolas Bachelier de réaliser la première campagne de travaux en 1555-1557, qui permet d'édifier le corps principal en L de l'hôtel ainsi que le pavillon d'escalier dans l'angle. L'ordonnance des façades, scandées régulièrement sur leurs trois niveaux par des colonnes jumelées doriques, ioniques puis corinthiennes, s'inspire des grands modèles antiques comme le Colisée mais aussi des traités de l'architecte royal Sebastiano Serlio. Le traitement soigné des fûts des colonnes (cannelés et rudentés) et des chapiteaux fait systématiquement appel à l'expression antique la plus sophistiquée connue.
La construction est interrompue à la mort de Castagnié et de Bachelier, puis reprise en 1560 sous la direction de Dominique Bachelier, fils de Nicolas. Il entreprend la réalisation de la loggia et de la coursière, qui ferment la cour, et du portail sur rue. Les nombreux jeux polychromes brique-pierre et certains ornements tels que les cabochons, pointes de diamant, masques, sont propres à l'esthétique de l'architecture maniériste. Dominique Bachelier conçoit aussi le portail d'entrée monumental, l'arc de la porte est tiré du Livre extraordinaire de Serlio. La porte est encadrée de pilastres doriques décorés de pointes de diamant conférant à l'ensemble une dimension précieuse. En partie haute, les pilastres ioniques autour de la fenêtre à meneaux sont cannelés et délicatement ornés, l'ensemble évoque à la fois la puissance et une érudition délicate
Édifié en 1568 par le marchand Jean Astorg sur l'un des principaux axes de la ville de la Renaissance, cet édifice conserve plusieurs caractéristiques de la demeure marchande. Le bâtiment sur rue est occupé en rez-de-chaussée par des boutiques et présente une porte d'entrée latérale ouvrant sur un passage couvert qui donne accès à la cour d'honneur. La particularité de cet hôtel est d'avoir conservé dans la cour ses deux escaliers extérieurs en bois hors ouvre et leurs coursives - en bois également - desservant les bâtiments sur cour. Cette architecture de bois, décorée de balustres moulurés et de volutes affrontées, était très pratiquée à la Renaissance.
L'histoire mal connue et mouvementée de cet hôtel semble commencer dans le dernier quart du XVIe siècle avec Géraud de Massas, conseiller au Parlement. Les fenêtres sont abondamment décorées, les jeux de polychromie brique-pierre et certains motifs tels des masques, pointes de diamant, monstres hybrides, termes, relèvent de l'architecture maniériste de la seconde moitié du siècle.
Pour régulariser la cour, divers éléments furent déplacés ou remaniés en 1865, faisant notamment disparaître sur le mur nord de la cour une coursière en encorbellement dont il ne reste que les arcs en brique décorés de pointes de diamant, comme à l'hôtel d'Assézat.
Cet hôtel qui n'est même pas inscrit aux monuments historiques (on se demande bien pourquoi !) possède de superbes portes et fenêtres Renaissance dont l'effet est cependant un peu gâché par la pollution.
Antoine Dumay, premier médecin de la reine de Navarre, fait bâtir son hôtel entre 1580 et 1600. Derrière un haut mur de brique et une grande porte cochère se trouve une cour d'une belle harmonie, ceinte de quatre corps de bâtiment. Les ailes sont desservies de manière traditionnelle par des escaliers en vis et des galeries. Tables et cabochons de marbres polychromes pyrénéens viennent décorer les façades.
Après la première campagne de travaux du début du siècle, en 1547 le parlementaire Jean de Burnet acquiert l'hôtel de Béringuier Maynier. Entre 1547 et 1577 il fait agrandir la cour d'honneur et lui donne une forme carrée avec le prolongement des ailes (au-delà de la première travée). Entre 1580 et 1591 l'évêque Pierre de Lancrau, devenu propriétaire, fait surélever la grande tour d'escalier et édifier plusieurs fenêtres à atlantes. Il est difficile de déterminer quelles fenêtres on doit à l'un ou à l'autre.
Dans la cour, certaines fenêtres à atlantes de l'étage pourraient dater de la deuxième campagne de travaux et être de la main de Nicolas Bachelier, celles du rez-de-chaussée seraient de la troisième campagne. Les atlantes et cariatides décorant les fenêtres sont remarquables de diversité et de réalisme, à l'étage leurs musculatures crispées semblent difficilement porter l'entablement des baies, au rez-de-chaussée les personnages hybrides aux pattes de lion ou en pilastres affichent un grand réalisme anatomique et psychologique. D'autres motifs sculptés abondent dans les encadrements et font référence aux décors d'édifices royaux comme la Galerie François Ier à Fontainebleau et s'inspirent même parfois d'ouvres célèbres de Benvenuto Cellini et de Michel-Ange.
C'est le prélat Christophe de Lestang qui fait bâtir cet hôtel entre la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe siècle. Evêque de Carcassonne, il constitue en plein quartier ecclésiastique une parcelle de 3000 m2 avec un vaste jardin. L'édifice, imposant bâtiment rectangulaire à deux étages, est tourné vers le jardin où se trouvent sa belle façade et la porte d'entrée. Le décor préfigure ce que sera la mode toulousaine du XVIIème siècle avec des ouvertures agrémentées de motifs de brique et de pierre. L'escalier est intact avec ses parois de brique et son décor classique de pilastres et de grandes niches à coquilles.
Sur la place Saint-Jacques, le portail est composé d'une alternance de briques et de pierres, traitées en bossage ou végétalisées, créant une bichromie reprise dans l'encadrement des fenêtres à meneaux et à ailerons du corps.
Au début du XVIIe siècle, l'hôtel de Bagis est racheté par François de Clary, premier président au Parlement, et sa femme. Pour la façade sur rue, Clary fait appel à l'architecte Pierre II Souffron et aux sculpteurs Pierre Bouc, Pierre Monge et Thomas Heurtematte. Unique dans la ville à la Renaissance, cette façade en pierre est rythmée par huit travées dans une composition symétrique. Inachevée à la mort des propriétaires, elle est terminée en 1857 par Urbain Vitry à partir des sculptures existantes.
Clary fait figurer ses armes (aigle et soleil) sur les chapiteaux des pilastres colossaux, tandis qu'au-dessus de l'entrée les dieux Apollon et Mercure et les déesses Junon et Minerve célèbrent le couple de propriétaires. Cette façade extraordinaire explique le surnom d'hôtel de pierre donné au bâtiment. La pierre, absente de la géologie locale et dont il fallait assurer le transport depuis le piémont pyrénéen, était de par sa rareté et son prix un véritable matériau de luxe à Toulouse. Aussi cette façade de Clary fit-elle forte impression et donna-t-elle naissance à un dicton populaire sous-entendant que Clary avait détourné à son profit les matériaux destinés aux travaux du Pont-Neuf dont il assurait la supervision : « Il y a plus de pierres du pont à l'hôtel de pierre que de pierres au pont ». Les riches ornements maniéristes des façades est et sud de la cour, avec leurs incrustations de marbre et leur abondant décor sculpté, datent également du début du XVIIe siècle.
Dès 1545, les capitouls entreprirent de grands travaux pour remettre en état de fonctionnement un ancien aqueduc romain qui conduisait jusqu'au site de la cathédrale les eaux d'une haute colline. Une première fontaine fut installée par le sculpteur Jean Rancy en 1549, remplacée en 1593 par certains des éléments de l'actuelle fontaine : un obélisque en marbre rouge de Cierp (dans les Pyrénées), posé sur un piédestal creusé de quatre niches abritant des marmousets de bronze tenant chacun une aiguière et urinant comme le Manneken-Piss.
En 1649, dégradés, ils furent refaits par Pierre Affre qui remplaça les aiguières par des serpents. Ce n'est qu'au XIXème siècle que les marmousets furent légèrement modifiés pour ne plus attenter à la pudeur... on y perdit certainement en pittoresque. D'autres éléments furent ajoutés ou remplacés aux cours des siècles (ce qu'illustre la multiplication de dates sur les diverses parties de la fontaine).
Symbole de l'évergétisme des capitouls, durant des siècles cette fontaine fut la seule à donner de l'eau dans Toulouse, complétée par des puits (souvent infectés) et des porteurs d'eau s'approvisionnant dans la Garonne. L'usure spectaculaire de sa margelle de pierre témoigne de son utilisation prolongée et intensive.
Comme celui de Paris, le Pont-Neuf de Toulouse est en réalité le plus vieux pont de la ville (si on excepte un pont bien plus petit - le pont de Tounis - lancé sur ce cours d'eau maintenant insignifiant qu'est la Garonnette). Il faut dire que les ponts plus anciens étaient régulièrement emportés par les terribles crues que la Garonne savait avoir toutes les quelques décennies, et que fort de ces expériences celui-ci fut spécialement conçu pour résister aux crues.
Si les piles furent commencées dès 1544 et employèrent à leur chevet de nombreux architectes toulousains de la Renaissance, les crues en faisaient un travail sans cesse à refaire ou à consolider. Lorsque que l'architecte parisien Jacques Lemercier arriva sur le chantier au début du XVIIème siècle, certaines piles étaient à refaire et aucune arche n'avait encore été bâtie. Lemercier fut donc celui qui donna une impulsion décisive au projet, il fit oeuvre novatrice en réalisant la synthèse entre des ponts de l'Antiquité romaine pour l'emploi des becs superposés destinés à écarter le courant et pour les ouvertures sur les piles, et des ouvrages de la Renaissance italienne tels le pont Sisto de Rome pour ses oculus ou le pont Santa Trinita à Florence pour le surbaissement des arches. Ces partis techniques, utilisés peut-être pour la première fois tous ensemble, font du pont toulousain un ouvrage architecturalement bien plus novateur que le Pont-Neuf de Paris qui lui est contemporain. Ces deux ponts marquèrent également la naissance d'une génération de ponts modernes supprimant l'habitat sur le tablier pour laisser toute la place à la circulation. Des sept arches permettant de franchir les 220 mètres du fleuve, la plus grande a une portée de 37 mètres.
Tout au long de son histoire - ou presque - Toulouse fut la base arrière des opérations militaires contre l'Espagne, tant défensives qu'offensives, et à la Renaissance cela lui valait d'ailleurs la présence d'un important arsenal. C'est en 1541 sous l'impulsion de François Ier, qui avait quelques raisons de se méfier de l'Espagne conquérante de Charles Quint, que la construction du Pont-Neuf fut décidée dans le but stratégique d'assurer le passage des troupes d'un côté à l'autre de la Garonne par n'importe quel temps.
Le roi autorisa à cet effet la levée d'un impôt spécial sur la région, mais l'argent vint souvent à manquer et sa construction commencée avant 1545 ne permit une mise en service qu'en 1632 et une inauguration par Louis XIV qu'en 1659.
Les grand maîtres actifs à Toulouse au début du chantier, le sculpteur Jean Rancy, le peintre Bernard Nalot, les architectes Louis Privat, Nicolas Bachelier, puis Dominique Bertin et Dominique Bachelier côtoyèrent des experts en ingéniérie hydraulique appelés pour la mise au point de nouveaux procédés de fondation en milieu aquatique. Plus tard, Pierre Souffron y rencontra les jeunes Jacques Lemercier et François Mansart. Ce chantier fut donc un lieu d'émulation, d'échange et de formation, au rayonnement national et même européen : à la demande du roi Philippe II d'Espagne, Dominique Bachelier se rendit à Saragosse en 1584 pour la réparation du pont réunissant les rives de l'Ebre.
Sa solidité fut mise à l'épreuve lors de la crue de 1875, sans doute la plus terrible de toutes, et alors que tous les autres ponts de Toulouse (pourtant plus modernes) cédaient les uns après les autres sous les assauts des flots furieux, lui seul tint bon. Cette crue faillit pourtant réussir à avoir sa peau, si l'on peut dire, puisqu'il fut ensuite accusé d'avoir fait barrage aux flots et d'avoir ainsi aggravé l'inondation de la rive gauche. Au début du XXème siècle il fut donc question de le raser (projet de l'ingénieur en chef Pendariès), ainsi que l'hôtel-Dieu-Saint-Jacques, avant que les défenseurs du patrimoine toulousain ne réussissent à écarter la menace pesant sur ce bijou architectural.