Introduite par les Romains, qui eux-mêmes la tenaient des civilisations du Moyen-Orient, la brique de terre cuite a trouvé une terre d'élection dans le Midi toulousain, pauvre en carrières de pierre mais riche en argile. Dans la région elle est appelée brique foraine.
Moyen de construction universel, la brique - crue ou cuite - est présente sur tous les continents depuis des milliers d'années. Surtout utilisée dans le passé là où la pierre manquait, la brique de terre cuite autorise les mêmes audaces architecturales que celle-ci. Elle présente l'avantage de ne pas nécessiter de taille mais sa fabrication demande temps et savoir-faire.
Après l'ère romaine c'est surtout à partir du XIIème siècle qu'elle se développe à nouveau en Europe, avec des régions de prédilection où elle domine les autres matériaux de construction : pourtours de la mer du Nord et de la Baltique, est de l'Angleterre, Midi toulousain, ainsi que plusieurs régions d'Italie et d'Espagne notamment...
Deux grandes cultures de l'architecture de brique cohabitent en Europe depuis le Moyen âge, chacune tirant ses spécificités des dimensions de ses briques :
Il faut sans doute voir dans la survivance de la brique « romaine »* dans les régions où la brique du nord ne s'est pas imposée le poids de la tradition mais également l'attachement à une vraie culture locale de la brique qui avait ses spécificités. De fait, la différence de format entre les deux types de briques a conduit les maçons à mettre en oeuvre des techniques d'ornementation bien distinctes.
* Je mets ici des guillemets car bien entendu il ne s'agit plus de la brique romaine originelle, faite par les Romains, mais de son héritière. Pour ne pas rendre la lecture pesante je ne les mettrai plus ensuite.
Différence de forme des deux types de brique :
Le format de la brique du nord permet des jeux de décors géométriques, par exemple en alternant le sens de pose pour faire apparaître tantôt la largeur et tantôt la longueur (appareil dit en alternance de boutisses et de panneresses), parfois aussi par l'utilisation de briques de différentes couleurs. Ce n'est pas là la seule technique d'ornementation mise en oeuvre pour la brique du nord, mais c'est sans doute la principale et surtout celle qui la différencie le plus de la brique romaine. Le terme générique de « brique du nord » ne doit pas masquer le fait que selon les régions il en existe de nombreuses variétés aux dimensions et couleurs très diverses, mais toutes ont en commun d'avoir un rapport largeur/longueur de 1/2 (au joint près).
La brique foraine, comme toute brique issue de la brique romaine, est trop grande et d'un aspect trop plat pour proposer efficacement un appareil régulier (même si cela se rencontre à partir du XIXème siècle). Surtout, son rapport largeur/longueur de 2/3 est peu propice à l'alternance du sens de pose. Privée des facilités décoratives offertes par le format de la brique du nord, la brique foraine avait pour son ornementation donné naissance à une profession d'ouvriers appelés "tailleurs de briques", dont le rôle était de modifier la forme standard de la brique déjà posée sur le mur. Ce savoir-faire qui nécessitait de savoir reconnaître, en fonction de leur cuisson, les briques propres à être taillées était détenu par les maçons et non par les sculpteurs. Il arrive cependant que des auteurs parlent de "sculpture" de la brique, bien que les ornements ainsi obtenus soient simplement de type moulure ou pilastre. En complément de cette taille de la brique, celle-ci était parfois "frottée" pour être aplanie et régularisée.
Il faut cependant se garder de trop généraliser car si on retrouve sans surprise ces tailleurs de brique en Italie centrale, là où la brique romaine est également employée, on les voit aussi à l'oeuvre en Angleterre où est pourtant utilisée la brique du nord. Par ailleurs il arrive que cette dernière ne soit pas toujours utilisée avec un appareil régulier... le tableau des spécificités de l'utilisation de la brique en Europe est donc plus complexe que ce que je peux en brosser dans cette page, avec de fortes particularités régionales.
Ci-dessous exemple d'utilisation de la brique du nord avec décor géométrique (Château de Malbork, Pologne, XIIIème siècle) :
Crédit photo : Freddy Joncheray, Taïga Editions, le gothique brique rouge.
Par comparaison, exemple ci-dessous de mur en brique foraine (Couvent des Jacobins, Toulouse, XIIIème-XIVème siècles) :
Ci-dessous un exemple de mur en brique foraine du XIXème siècle (Couvent des Augustins, Toulouse). Les briques sont de moindre qualité, leur longueur semble varier aléatoirement, de même que la couleur. C'est qu'ici, pratique courante au XIXème siècle pour faire des économies, des fragments de brique ont été utilisés à côté de briques entières :
Brique foraine taillée : exemple ici d'un pilastre dont la taille n'a pas été faite (à gauche), comparé à un pilastre terminé (à droite) :
Exemple de taille plus élaborée sur un portail de la rue Tripière :
Malgré l'absence d'un appareil régulier les décors géométriques ne sont toutefois pas inconnus à Toulouse, notamment sur le clocher des églises. On en a un bel exemple ici avec le clocher-mur de l'église du Taur (XIVème siècle) où les variations du sens de pose des briques sont combinées à des effets de relief :
Un décor de brique taillée n'était pas à la portée des budgets trop serrés, on estime que la brique taillée revenait près de 5 fois plus cher que la brique brute.
Plus chère encore était la pierre sculptée, seule capable de satisfaire les désirs d'ornementations plus complexes, et uniquement accessible aux commanditaires les plus riches. Mais comme ceux-ci ne manquèrent pas à Toulouse au fil des siècles, la ville est également très marquée par les décors en pierre sculptée (édifices religieux et hôtels particuliers notamment).
Vers 1830 apparut enfin la possibilité d'avoir des décors à la fois sophistiqués et bon marché, mais cela est une autre histoire que nous aborderons dans la rubrique "Les décors en terre cuite Virebent".
Le terme de foraine a une origine incertaine, plusieurs tentatives d'explication ont été faites. Selon l'une d'elles ce nom viendrait du fait que la brique était cuite dans un four, et donc de meilleure qualité que les briques crues, ce qu'il fallait signaler. Selon une autre il serait dû au fait qu'on la vendait surtout dans les foires. Enfin il est peut-être plus probable que l'origine du nom vienne du latin foraneus qui signifie "qui vient d'un autre lieu", car initialement ce nom aurait désigné des briques issues d'une briqueterie et non du lieu même du chantier... au fil des siècles cette distinction se serait perdue et le terme serait devenu plus générique : indiquant au départ une certaine qualité de cuisson, il désigne maintenant le format de ce type de briques.
Le mot "brique" pour sa part n'est arrivé que tardivement à Toulouse, on utilisait le terme "tuile" (ou plus exactement teula en occitan) pour désigner à la fois les briques, appelées "tuiles foranes" ou juste "foranes", et les tuiles pour le toit, appelées "tuiles canal". Les briqueteries étaient désignées du nom de "tuileries".
Les dimensions de la brique foraine se sont fixées avec le temps à 42 x 28 x 5 cm, mais elle a autrefois été un peu plus petite : au XIIème siècle par exemple la brique de Toulouse faisait 36 x 24-26 x 3,5-4 cm (toujours avec ce rapport largeur/longueur de 2/3).
Une brique foraine :
Dans le passé les nombreuses briqueteries ne fonctionnaient généralement qu'à la belle saison, plus propice au séchage des briques encore crues (le séchage est une étape indispensable avant la cuisson). Souvent il arrivait qu'on produise les briques sur le chantier lui-même, il suffisait de construire un four à demi-enterré et de prélever l'argile à proximité. C'est ainsi que nombre de fermes du pays toulousain furent construites, dont la mare aux canards correspond au trou laissé par le prélèvement de terre nécessaire pour bâtir la ferme.
Les fours de briquetiers étant de grandes constructions, la cuisson des briques n'était pas homogène, ce qui explique que l'on rencontre des palettes de ton rouge clair, rosé, beige-rosé, jusqu'au noir pour les briques les plus cuites. Dans une même fournée, les briques les plus proches du feu étaient trop cuites et déformées, utilisées pour les fondations du fait de leur résistance à l'humidité et au nitre (salpêtre). Les briques positionnées au milieu du four étaient parfaitement cuites, avec une carapace dure capable de résister aux intempéries. C'étaient bien entendu les briques les plus chères, utilisées surtout pour les façades exposées aux éléments, ou à tout le moins pour les chaînages d'angles et les encadrements des portes et fenêtres. Enfin placées plus haut dans le four et moins cuites, d'autres briques en sortaient de qualité moindre et pouvaient être utilisées en intérieur, ou bien recouvertes de badigeon, de peinture ou même d'enduit afin de leur conférer une couche protectrice plus ou moins épaisse selon leur qualité.
Les briques du Midi toulousain se déclinaient donc en plusieurs tailles et qualités, on pouvait distinguer la brique "biscuite" qui était surcuite, la brique "foraine" donc, parfaitement cuite et considérée comme la meilleure qualité, la "rougette" ou "marteau" un peu moins dure et plus homogène (ce qui la réservait à la taille), la brique "commune" de qualité moindre, la "violette" deux fois moins large (utilisée par exemple pour les clochers), la "tuilette" deux fois moins épaisse (utilisée pour les voûtes)... d'autres noms ont également pu être donnés localement, et selon les époques.
La brique du Midi toulousain a longtemps été plus difficile à cuire que la brique du nord et régulièrement des briques ressortaient brisées du four, soit que l'évolution de la cuisson n'ait pas connu la régularité attendue, soit que les briques concernées aient eu quelque fragilité que leur minceur et leur grande taille ne pardonnaient pas. Ces briques n'étaient pas mises au rebut pour autant, sous les noms de "riblons", "matériaux" ou "foraines à bâtir" on s'en servait pour remplir l'intérieur des murs. Si les fragments pouvaient être taillés en rectangles d'au moins 10 centimètres pour le plus petit côté, ils pouvaient même être employés en façade à côté de briques entières.
Autre particularité : la surface de portance très importante de la brique foraine permettait de monter des maçonneries complètes en se passant de tout élément de chaînage en pierre.
La Tolosa romaine était déjà une ville de brique, mais le recours à celle-ci se raréfia considérablement - s'interrompit peut-être même - au haut Moyen âge, époque où le bois et le torchis s'imposèrent comme matériaux de construction. Un siècle avant le reste de la France et d'une bonne partie de l'Europe, la brique revint sur le devant de la scène vers le XIème siècle à Toulouse (chantier de Saint-Sernin), elle restait toutefois un produit onéreux et son usage était réservé aux monuments religieux, aux constructions de prestige et aux propriétaires fortunés. On estime en effet que construire en brique à Toulouse coûtait plus cher que construire en pierre dans les régions où celle-ci était abondante. En 1834, le prix au mètre cube de la brique foraine était estimé comme deux fois supérieur à celui de la brique de la Marne et comme trois fois supérieur à celui du moellon (le moellon est une pierre non équarrie), ce qui fit s'interroger les gestionnaires du Canal du Midi sur l'opportunité de baisser les droits de navigation pour ce dernier matériau : le prix du transport aurait pu alors n'être plus un obstacle à l'utilisation massive de la pierre. Mais quand il s'agissait de faire des économies, la pratique constructive locale préféra faire alterner lits de briques entières et lits de briques brisées ou de galets de Garonne.
La brique foraine n'était donc nullement un « matériau du pauvre » comme cela a pu être écrit, mais au contraire un produit qui jusqu'au milieu du XIXème siècle n'a pas été bon marché, bien qu'il y eût plusieurs gammes de prix en fonction de la qualité de cuisson. Si le reste de la France a souvent porté un regard un peu condescendant sur la brique au long de son histoire (mais pas toujours, en témoignent la place des Vosges ou Versailles), dans le Midi toulousain ce ne fut cependant pas le cas avant la fin du XVIIIème siècle, aussi la brique s'afficha-t-elle sans complexe pendant des siècles sur les monuments, églises, hôtels particuliers... au milieu d'édifices en bois et en torchis, elle devait se distinguer par sa couleur et sa solidité.
Les nombreux incendies ayant touché la cité, et en particulier celui dévastateur de 1463, poussèrent les capitouls à promulguer des édits conduisant petit à petit à la généralisation de la brique dans les constructions plus communes. Cette mesure facilitée par la prospérité économique du XVIème siècle mit cependant du temps à s'imposer complètement : à la fin du XVIIIème siècle un tiers des façades de Toulouse étaient encore en bois.
Au vu du prix de la brique il pouvait être tentant pour une tuilerie (briqueterie) peu scrupuleuse de chercher à gruger le client en trichant sur les dimensions, les briques étant vendues par lots de mille et non au poids. Les contrôles étaient donc rigoureux : la municipalité fixa les statuts des tuiliers en 1311, et fabriqua des moules étalons à au moins cinq reprises : en 1311, 1580, 1618, 1640 et 1667. Tous les ans, parfois tous les mois, les capitouls et les bayles (maîtres faisant office de syndics) effectuaient des visites surprises de contrôle. Les briquetiers devaient alors exhiber la règle de fer graduée à la dimension des briques qu'ils étaient contraints de conserver.
Note : j'ai créé ce paragraphe plus récemment que le reste de la page, car certains lecteurs avaient cru comprendre que je m'élevais contre l'idée de badigeonner ou d'enduire les briques. Telle n'était pas mon intention, je m'élevais plutôt contre l'idée que les Toulousains n'ont jamais aimé la brique et toujours cherché à la cacher. Pour clarifier mon propos que j'avais certainement dû mal exprimer (mea culpa), voici donc quelques précisions.
Le prix élevé de la bonne brique foraine et les qualités variables des briques qui sortaient du four ont donné lieu à divers types de traitements afin de protéger les façades des éléments. Au Moyen Âge, il semble que le fait que la brique ait été réservée à des commanditaires disposant de gros moyens ait conduit les maçons à trier les briques à la sortie du four et à ne conserver généralement que les mieux cuites, de sorte que souvent les briques des constructions de cette époque paraissent avoir été laissées nues (pas toujours toutefois). La généralisation de la construction en brique qui gagna ensuite progressivement Toulouse à partir de la Renaissance conduisit à l'utilisation de briques moins cuites, qui auraient auparavant été écartées pour un usage en extérieur, car ces briques de qualité moindre étaient meilleur marché et pouvaient convenir à des propriétaires moins fortunés. Si les encadrements de portes et de fenêtres conservèrent généralement l'usage de briques bien cuites, le remplissage des murs fut de plus en plus souvent réalisé avec des briques insuffisamment cuites qu'il convenait de protéger. Ainsi, en fonction de leur dureté, les briques étaient-elles soit laissées nues (ce qui était le plus prestigieux), soit recouvertes d'un léger badigeon, d'une peinture plus consistante ou même d'un épais enduit cachant jusqu'à la forme de la brique et des joints. Dans ce dernier cas, il arriva assez souvent qu'un faux appareil de brique appelé "briquetage" soit dessiné sur l'enduit et recrée l'illusion de la brique apparente ; les faux joints bien alignés verticalement signalent généralement ce type d'appareil.
Jusqu'à la fin du XVIIIème siècle, moment où la mode changea et passa au blanc, les peintures et enduits utilisés étaient de couleur brun-rouge, et la tradition constructive toulousaine mariait avec subtilité les murs en brique apparente (c'est dire nus ou recouverts de badigeon ou de peinture laissant deviner la forme de la brique) et les murs enduits faisant ou pas recours au briquetage.
Exemple d'enduit reproduisant un faux appareil de brique (appelé briquetage) par-dessus la vraie brique :
Les joints à la chaux avaient toute leur part en tant qu'élément de décor dans l'esthétique générale d'une façade, ils représentaient jusqu'à un tiers de la surface d'un mur. Ils pouvaient être creusés ou mis en relief selon l'effet recherché.
Les joints pleins, ou plats, appelés aussi "joints beurrés", étaient plutôt utilisés à la période médiévale et affleuraient au ras de la brique.
À la Renaissance en revanche, on trouve une technique de jointoiement en relief particulièrement élaborée. Le joint est légèrement saillant, il est appelé "joint carré" ou "joint rubané" et témoigne du soin accordé au montage des murs de brique, il produit un effet visuel des plus décoratifs selon l'inclinaison de la lumière.
Au XIXème siècle les joints sont souvent constitués d'un mortier fin de ton rosé, avec badigeonnage très léger à l'eau de chaux colorée à la poudre de brique. Le joint peut être taillé en biseau à la truelle et former un creux sous la brique supérieure, on l'appelle alors "joint coupé" ou "à la toulousaine". Il donne là aussi de singuliers effets esthétiques sous une lumière rasante.
Lorsqu'une façade en brique était protégée par une couche de peinture, les joints entre les briques se retrouvaient donc masqués. Ils pouvaient alors être repeints en blanc ou blanc rosé, ou même refaits au mortier, par-dessus la couche de peinture rouge.
En 1935 Georges Gromort pouvait relever que « Quand on parle des tons chauds et lumineux des façades du Midi, il faut souligner qu'elles les doivent pour une bonne part aux joints de mortier qui lient les assises entre elles et jouent un rôle essentiel dans l'aspect général. Ce réseau de fines lignes de mortier de chaux contribue à éclairer les façades et à créer des effets changeants selon les heures du jour. »
Toulouse a laissé une part certes très minoritaire mais toutefois non négligeable à la pierre. Comme aucune carrière ne se trouvait à moins de 70 kilomètres de la ville, il fallait lui faire descendre la Garonne ou l'Ariège sur des radeaux depuis le piémont pyrénéen (de même que le marbre), ou la faire venir par le Canal du Midi quand celui-ci fut construit à la fin du XVIIème siècle. Son transport et les faibles volumes disponibles la rendaient fort chère sur le marché toulousain, elle devint par conséquent un symbole de grand luxe dans cette ville de brique, de bois et de torchis. On la retrouve généralement à des endroits soigneusement choisis : chaînage des portes et fenêtres, sculptures décoratives...
Même rare elle suffit à donner à l'architecture toulousaine une de ses caractéristiques : la polychromie rouge/blanc.
Pour faire des briques, l'argile seule ne suffit pas. Il faut lui adjoindre du sable, matériau qui entre également dans la composition du mortier liant les briques entre elles. A Toulouse on ne trouve ce sable qu'au fond de la Garonne, et sa récupération était le travail des pêcheurs de sable qui utilisaient pour cela de longues barques à fond plat : les gabarres. En plus du sable, les pêcheurs de sable remontaient également des galets et du gravier. Ce métier a perduré jusqu'au début du XXème siècle, des cartes postales de l'époque témoignent de cette activité très dure physiquement.
Au XIXème siècle de très nombreuses briqueteries exerçaient à Toulouse et ses environs (elles se comptent aujourd'hui sur les doigts d'une main). Ce fut en quelque sorte un âge d'or, les progrès techniques avaient permis une baisse des prix et une meilleure maîtrise de la cuisson autorisant de varier les couleurs.
C'est là une des raisons pour lesquelles les bâtiments de brique de Toulouse n'ont pas tous exactement la même couleur, mais pas la seule. En effet la couleur dépend également de la teneur en oxyde de fer de l'argile, et bien entendu du fait que les badigeons protégeant parfois la brique peuvent être de teintes très différentes.
Hier comme aujourd'hui, la fabrication d'une brique se fait toujours en cinq étapes que l'on peut détailler ainsi :
Grâce à l'amabilité de la briqueterie Capelle, située à Grépiac (Haute-Garonne), j'ai pu ramener quelques photos de ces diverses étapes de fabrication de la brique.
Après avoir longtemps reposé (phase appelée "pourrissage"), la terre argileuse est malaxée dans cette énorme machine et mélangée à une quantité d'eau et de sable bien précise :
Le long ruban de terre crue qui en sort est découpé. De nos jours les briques sont généralement extrudées (comme ici) et non plus moulées :
Déposées sur des clayettes, les briques sont ensuite mises au séchoir entre 3 et 10 jours afin de perdre leur eau. Notez la couleur qui est celle de la terre crue à ce stade, la couleur rouge ne venant qu'avec la cuisson :
Après quoi c'est l'enfournement, qui de nos jours se fait dans des fours à gaz :
Les briques restent dans le four entre 3 et 5 jours, la cuisson se fait à plus de 1000° pendant 24 heures environ. Le reste du temps est consacré à la montée puis à la baisse en température, qui doivent suivre une évolution bien calibrée :
Avant les fours à gaz, la cuisson se faisait dans ce four à charbon qui nécessitait 3 mois d'enfournement et autant de défournement. Il permettait de cuire plus de 100 tonnes de briques d'un coup mais offrait peu de souplesse d'utilisation :
Cette chambre allongée n'est qu'une des deux composant le four :
Le charbon était versé depuis le plafond par ces trous (on est donc ici au-dessus du four), par un mécanisme automatique à engrenages permettant de bien contrôler l'alimentation en combustible. Plus de 10 tonnes de charbon étaient nécessaires :
Antérieurement au four à charbon était utilisé un four "droit" avec le bois comme combustible :
Les produits finis sont évidemment des briques et des tuiles, mais également divers éléments de décoration, diversification rendue nécessaire par la baisse du marché des produits traditionnels :
Remercions à nouveau la briqueterie Capelle pour cette visite guidée, et dirigeons-nous maintenant vers Blagnac où se trouve un four à briques désaffecté datant de 1868. Un tel four était capable d'enfourner plus de 22.000 briques d'un coup.
Ces orifices bas permettaient d'alimenter le four en charbon pendant la cuisson :
Enfin rendons-nous sur les berges de la Garonne à Muret, où un four gallo-romain dit de "Bourdaya" a été découvert en 1967. La moitié intacte de la sole de cuisson percée de carneaux (trous sur le toit comme pour le four à charbon de la briqueterie Capelle vu plus haut) surmontait un réseau de chauffe comportant huit tunnels. Lors de sa découverte les débris de la dernière fournée étaient amoncelés au milieu de la sole, on peut encore y voir des fragments de tegulae.
Crédit photo : Michel Weissberg
Voilà donc un petit aperçu des lieux qui permirent à Toulouse de devenir ce qu'elle est : une ville née de l'alliance de la terre et du feu.
Il est un autre produit de la terre cuite qu'il nous faut évoquer au moins brièvement : la tuile canal.
Omniprésente dans tout le sud de la France, la tuile ne pouvait évidemment faire défaut à Toulouse. Il suffit de monter sur l'un des "balcons" toulousains, la terrasse des Galeries Lafayette ou le dernier étage du parking des Carmes par exemple, pour constater que c'est une mer de tuiles qui s'étend sous nos yeux.
Parfois l'ardoise ou le zinc furent préférés : pour les toitures pentues ou pour donner un style plus parisien à certains bâtiments. Quelques immeubles du XIXème siècle ont même le premier pan du toit (visible de la rue) couvert d'ardoise et le reste du toit (invisible) en tuile.
Des régions françaises, seul le Midi toulousain a mis en oeuvre la brique romaine à une telle échelle. Cette originalité dans le paysage architectural national n'est pas allée sans rencontrer des difficultés. La culture locale de la brique qui paraissait naturelle au Moyen âge et à la Renaissance le devint de moins en moins au fil des siècles, à mesure notamment que l'influence centralisatrice de Paris s'accroissait. Ainsi depuis le XVIIème siècle les auteurs classiques véhiculaient-ils l'idée que la pierre de taille était supérieure à la brique, elle-même supérieure au moellon, un postulat qui finit par avoir valeur de pensée universelle.
Il n'est donc pas surprenant qu'au XIXème siècle les ouvrages et traités nationaux (comprendre parisiens) d'architecture aient complètement ignoré la brique foraine, à l'exception notable d'Eugène Viollet-le-Duc - envoyé en mission par le gouvernement en 1846 et qui ne cachait pas son admiration pour Toulouse qu'il appelait "le Nüremberg de la France" - qui en donnait des exemples dans son Dictionnaire de l'Architecture française.
Or c'étaient ces ouvrages-là qui servaient de référence aux architectes et étaient utilisés pour leur formation, y compris à Toulouse.
Zone approximative d'utilisation de la brique dans le Sud-ouest de la France. Certaines villes, comme Agen ou Cahors, utilisent également plus ou moins largement la pierre qui est présente dans leur environnement immédiat, contrairement à Toulouse ou Albi :
(Carte copiée du livre de Valérie Nègre : L'ornement en série, architecture, terre cuite et carton-pierre).
Dans la deuxième moitié du XVIIIème siècle Toulouse devint une ville blanche, ses murs de brique cachés sous de la peinture ou des enduits de couleur claire. Les principales raisons avancées pour expliquer cette transformation assez soudaine font état d'un complexe vis-à-vis de la pierre parisienne et bordelaise, généré par la diffusion du postulat que j'évoquais au paragraphe précédent, et de considérations sécuritaires (la brique était jugée trop sombre la nuit, à une époque où l'éclairage public faisait son apparition). Cet état de fait dura jusqu'à la première moitié du XXème siècle.
Dès lors les maçons s'ingénièrent à rendre l'appareil de brique capable d'imiter au mieux celui de la pierre de taille. Une des astuces les plus utilisées fut la taille de refends (des rainures creuses) pour imiter les joints entre des pierres figurées par des blocs de plusieurs briques peintes en blanc. De nos jours, si la peinture blanche a été enlevée, on retrouve sur certaines façades ces refends témoignant de cette époque :
Dès le début du XVIIIème siècle, mais également au XXème siècle, le Midi toulousain a semblé parfois perdre de vue cette différence qu'on pourrait qualifier de culturelle entre l'appareil régulier de la brique du nord et celui irrégulier de la brique romaine. Il est vrai que l'architecture de brique du reste du pays utilisant très majoritairement la brique du nord, il y avait matière à y perdre un peu de son latin... C'est ainsi qu'occasionnellement l'appareil de brique a pu être jugé grossier, les briques n'étant pas régulières ni alignées.
La façade principale de l'hôtel de ville est un bon témoin des diverses influences qui se sont exercées sur la brique toulousaine. Elevée entre 1750 et 1760 par Guillaume Cammas, elle doit à ce dernier sa superbe bichromie rouge/blanc mariant la brique et la pierre (ainsi que le marbre pour les colonnes) :
Peu après cette édification, en 1771 selon les annales municipales, la ville devint donc blanche ainsi qu'on l'a vu plus haut, et la façade de Cammas, repeinte, perdit sa bichromie pendant une centaine d'années.
S'il renoua ensuite avec sa façade bichromatique, le Capitole affiche toutefois les stigmates d'un autre complexe : sur la façade de Cammas l'appareil de brique irrégulier a dû être jugé indigne de l'hôtel de ville, car on entreprit de corriger ce "défaut" et un faux appareil de brique fut peint sur le véritable pour le rendre artificiellement plus régulier. Il ne s'agissait pas là d'un travail de briquetage fait sur un enduit destiné à protéger la brique, comme cela se pratiquait depuis longtemps, mais bien de retouches à visée purement esthétique. Parfait trompe-l'oeil de loin, cet artifice devient visible si on s'approche suffisamment de la façade :
On voit là comment la tradition multiséculaire de la brique foraine et de son appareil irrégulier a été tournée pour obéir à des exigences esthétiques jusqu'alors étrangères à Toulouse. Cette tradition était pourtant partagée par les villes utilisant la brique romaine : Albi et Montauban bien sûr (qui connurent la même pression), mais aussi Sienne ou Ferrare.
Ne croyez pas pour autant que je militerais pour débarrasser le Capitole de ce faux appareil régulier : il est le témoin de cette influence qui s'est exercée sur la brique toulousaine, et en cela participe à la mise en valeur de la riche histoire de cette dernière.
Parfois la question se pose encore de savoir s'il est légitime pour Toulouse, historiquement parlant, de rendre apparente la brique de ses façades (apparente ne voulant pas nécessairement dire nue). En effet les premières photos de la ville prises au XIXème siècle la montrent blanche, et l'on a vu pourquoi plus haut. L'opinion est encore assez répandue que "dans le passé, Toulouse était une ville blanche". Cette assertion, qui n'est effectivement pas fausse puisque Toulouse a connu cet épisode de ville blanche, devient discutable quand elle est utilisée pour laisser entendre que la cité n'aurait jamais été "rose" avant le XXème siècle. Car en filigrane bien entendu se pose cette question essentielle pour une ville qui souhaite à juste titre valoriser son histoire et son patrimoine : est-il souhaitable et légitime de chercher à rendre la brique apparente dans le but de revenir à une authenticité qui n'aurait peut-être jamais existé ?
Or ce questionnement a reçu des éléments de réponse qui montrent que oui, Toulouse a la légitimité historique pour afficher sa brique, nue ou protégée par un badigeon, peinture ou enduit qui respecte sa couleur et sa forme.
Je citerai pour étayer ces propos le travail de quelques chercheurs :
- La maison médiévale en brique en France méridionale, par Alain de Montjoye (lien) :
"Le temps est venu, je crois, d'affirmer, à l'encontre d'une opinion indûment ancrée encore, que là où elle paraît s'être imposée comme matériau unique ou quasi unique de la construction, la brique n'a pas été perçue comme vile et réservée au vulgaire. On n'en voudra chercher d'autre preuve que le nombre élevé de ces maisons fortes urbaines que la vieille aristocratie, non plus que la puissante et riche élite marchande ne dédaignèrent pas de se faire construire dans ce matériau.[...] Dans les villes où elle a été le plus complètement étudiée, à Cahors et à Toulouse, l'architecture des maisons, comme celle d'ailleurs des grands édifices de prestige tels qu'églises et palais, témoigne d'une véritable esthétique de la brique. Tout montre que les effets induits par l'usage de ce matériau ont été parfaitement maîtrisés et même recherchés et soigneusement étudiés. Ni à Toulouse, ni à Cahors, l'usage d'enduire les murs à l'extérieur ne paraît avoir eu cours, du moins au Moyen Âge."
- La céruse et le blanchiment des villes de brique au milieu du XVIIIe siècle, par Valérie Nègre (lien) :
"Dans le deuxième tiers du XVIIIe siècle, les villes de brique du Midi de la France dont les parements étaient traités en briques apparentes ou en enduits et badigeons brun-rouge, virent au blanc. L'évolution du goût est à l'origine de ce changement spectaculaire. C'est en partie pour imiter la pierre que le blanchiment est imposé à Toulouse en 1783."
- L'ornement en série. Architecture, terre cuite et carton-pierre, par Valérie Nègre (Editions Mardaga, 2006)
"Or en Occident, les ornements sont le signe de la richesse et de la réussite sociale. On le voit à Toulouse où le traitement des parements subit trois révolutions en un siècle. Signe de richesse au début du XVIIIème siècle, laissée apparente ou peinte en rouge, la brique est perçue un demi-siècle plus tard comme un matériau pauvre [...]. Le "goût néoclassique" apporte avec lui une attirance pour les tons clairs qui rappellent la pierre et pour les ornements en terre cuite de la couleur du marbre. L'effet est spectaculaire, les villes à dominante ocre-rouge virent au blanc légèrement teinté d'ocre de rut ou de gris de perle. Avec cette couleur, c'est la parenté des villes du Midi avec les villes de l'Italie centrale que Stendhal voit s'estomper. Mais tout change à nouveau radicalement et presque simultanément dans les pays européens au milieu du XIXème siècle. Les anciens préjugés s'évanouissent, César Daly milite pour la brique apparente, John Ruskin préfère le torchis au stuc."
- A Toulouse : une culture originale, par Bruno Tollon (Le patrimoine en brique, n°185 revue Monuments historiques, 1992) :
"Le caractère des formats locaux doit retenir notre attention car il constitue l'élément distinctif de la brique toulousaine par rapport à son homologue du nord de la France. Il convient de remarquer que le Midi toulousain conserve les grands formats hérités de l'Antiquité romaine. Il s'agit là d'une donnée constante du XIIIè au XIXè siècle, et même jusqu'au XXème siècle, où elle passe pour un particularisme rétrograde.[...] Un autre caractère mérite d'être souligné : la nature même du matériau et ses grandes dimensions dispensent le constructeur de prévoir la distinction entre noyau et parement. Le mur dévoile en façade sa propre structure et la brique de construction constitue à la fois la chair et la peau de l'édifice. Ainsi la brique apparente a pu devenir une des données les plus courantes de la physionomie urbaine. On y vérifie comment d'une nécessité constructive - en ces pays privés de pierre - l'art du maçon a su faire une véritable esthétique. Tant il est évident que la couleur de la brique méridionale produit des effets bien différents de ceux que présente sa rivale nordique."
- La brique rouge, une culture architecturale, par Bruno Tollon (La couleur des murs : la peau et le fard, n°38 Midi-Pyrénées patrimoine, 2014) :
"[...] A l'extérieur, la brique apparente peut, elle aussi, bénéficier de protections : on prescrit pour elle des badigeons faits de brique pilée et d'huile de lin pour l'imperméabiliser. Insistons sur le fait que clients et maçons attendent des briques et des joints laissés apparents un effet de grille, effet à leurs yeux indispensable et caractéristique de la belle construction. Badigeons et crépis qui le font disparaître ne sont qu'un pis-aller, un cache-misère.
[...] Exemple de restauration problématique : l'hôtel d'Assézat, qui avait échappé au blanc de céruse au XIXème siècle, n'a pas eu plus de chance (NDLR que la place Nationale de Montauban) : les façades de la cour ont été, elles aussi, traitées sans tenir compte des marchés de construction. Tout se passe comme si, aux yeux des intervenants, la brique partout visible, entre les ordres d'architecture et les encadrements de baies, ne méritait pas cet honneur et imposait une correction. On peut en apprécier aujourd'hui le résultat : des parois blanchies, des pierres rougies au droit des colonnes pour gommer les harpes, sur la façade du côté gauche de la cour. L'aile du fond, dont les pluies ont lavé les badigeons intempestifs, est en passe de retrouver les vifs contrastes voulus par le dessin d'origine : il reste que les intentions du restaurateur (NDLR l'architecte en chef des monuments historiques des années 1990) demeurent peu compréhensibles et le résultat mitigé continue à passer pour une trahison."
- Au XVIIIème siècle, le triomphe du goût à la grecque, par Marie-Luce Pujalte-Fraysse (dossier Toulouse, le caractère d'une ville, n°231 revue VMF, 2010) :
"Le blanchiment de la façade (de l'hôtel de Bonfontan en 1771 NDLR) relevait certes du souhait de singulariser l'édifice dans un paysage conquis à la brique, mais cette mesure traduisait aussi un souci esthétique. Elle pose en effet avec subtilité la question d'une mode exogène aux coutumes locales. Alors que la blancheur du lait de chaux renvoie aux modèles septentrionaux, le lait de chaux lui-même rend la maçonnerie homogène sans joint visible, et par là-même nie tous les effets plastiques qui faisaient l'essence même de l'architecture vernaculaire."
- Une féconde architecture des temps de guerre, 1560-1590, par Colin Debuiche (catalogue Toulouse Renaissance, direction Pascal Julien, 2018) :
"[...] la culture visuelle des architectes et des tailleurs de pierre a engendré de remarquables inventions, en particulier en matière de polychromie. [...] A Toulouse, la brique était un matériau qui, depuis l'Empire romain, renvoyait à la solidité défensive mais aussi à une esthétique polychrome particulière, par son alternance rubanée avec la pierre, visible sur les vestiges des remparts romains chantés par Ausone. Ce choix d'un parement régulièrement bariolé constituait une référence recherchée à l'Antiquité locale, déjà prolongée dans les maçonneries romanes."
On peut, je pense, conclure de tout cela que la "brique apparente", nue ou protégée par une peinture rouge quand elle n'était pas assez cuite, fut donc bien une réalité historique à Toulouse. Sa légitimité dans le ravalement de nos façades pourrait être préférée à celle d'un blanchiment ou d'un crépissage inspiré par une mode exogène, sans pour autant nier le fait qu'un grand nombre de façades toulousaines furent édifiées à l'époque où le blanchiment était de mise.