Le centre historique de Toulouse est singulièrement riche en hôtels particuliers. Si le commerce du pastel a donné à quelques grands - mais rares - marchands toulousains une fortune hors norme permettant l'édification d'hôtels emblématiques à la Renaissance, on doit cependant le plus grand nombre de ces prestigieuses demeures urbaines aux parlementaires dont la juridiction s'étendait sur une bonne partie du Midi de la France.
Dans la deuxième moitié du XVème siècle une conjonction de facteurs provoqua un renouvellement assez radical de l'urbanisme toulousain. Et le fait déclencheur fut une catastrophe d'une ampleur sans précédent pour la ville : le 7 mai 1463 dans une cité alors largement construite en bois et en torchis, un incendie se déclara chez un couple de boulangers. Attisé par le vent d'autan le feu dura des jours et détruisit les deux tiers de la ville. Le roi Louis XI, rapidement venu se rendre compte sur place, fut si impressionné par la dévastation qu'il exempta Toulouse d'impôts pour 100 ans ! Son successeur sur le trône, Charles VIII, amenda l'exemption au terme d'une vingtaine d'années (sans toutefois l'annuler complètement) mais celle-ci avait eu néanmoins pour effet d'attirer d'audacieux entrepreneurs qui se lancèrent dans le commerce du pastel, déjà en vogue dans la région depuis quelques décennies et qui un ou deux siècles plus tôt avait fait la richesse d'Amiens. On était alors encore loin des grosses fortunes qui allaient se constituer au XVIème siècle, mais l'élan était donné.
Le pastel, aussi appelé guède ou waide, était cultivé depuis longtemps et sous toutes les latitudes, de l'Afrique du nord jusqu'à la Norvège. C'était alors la seule teinture connue à donner du bleu pour les tissus, couleur devenue à la mode en Europe depuis qu'on l'avait associée à la Vierge et que les rois puis la noblesse en avaient fait "leur couleur" en cette fin de Moyen âge (on ne parle pas pour rien de "sang bleu"). Le pastel était tiré des feuilles d'une plante appelée isatis tinctoria, au terme d'un traitement long et fastidieux. Entre le moment où on semait et celui où on vendait plusieurs années s'écoulaient, réservant cette activité à de gros négociants seuls capables d'immobiliser d'importants capitaux aussi longtemps avant de rentrer dans leurs frais (et d'en tirer un juteux bénéfice). Il s'avéra alors que le pastel du Lauragais voisin, soumis à l'influence égale des climats atlantique et méditerranéen, donnait le meilleur bleu d'Europe ! A leur apogée les marchands toulousains exportaient leur production jusqu'aux grands centres textiles de Londres, Anvers, Burgos, Rouen... et la fortune faite en un siècle (1460 - 1560 à peu près) donna à Toulouse et sa région une réputation de "pays de cocagne" (du nom occitan des coques rondes sous la forme desquelles était commercialisé le pastel). A partir des années 1560 la concordance des guerres de religion qui déchirèrent la France, la concurrence de l'indigo venu des Indes (plus facile à traiter et donc moins cher) et la faillite du roi d'Espagne entraînant celle de ses créanciers, les marchands d'Europe du Nord clients des producteurs toulousains, mit fin à ce commerce lucratif.
Il ne faudrait toutefois pas surestimer l'importance des marchands pastelliers* dans la collection d'hotels particuliers de la ville : ils sont à l'origine des deux hôtels les plus fameux et emblématiques de Toulouse, Assézat et Bernuy, mais furent finalement peu nombreux. Le gros des hôtels particuliers fut édifié par les parlementaires, magistrats au Parlement de Toulouse - le deuxième parlement du royaume après Paris en importance et en ancienneté - et par de riches bourgeois (souvent capitouls) ne faisant pas commerce du pastel.
* On trouve aussi ce mot écrit "pastelier" plutôt que "pastellier" (avec un "l" et non avec deux). Comme il s'agit manifestement d'un néologisme, je suppose que les deux orthographes sont acceptables.
De la brique pour durer et résister aux incendies, des capitaux indispensables car - comme le disait l'humaniste toulousain Jean de Pins - "sans argent, les muses grelottent", de l'émulation sociale pour donner aux ambitieux l'envie de s'afficher : voilà les ingrédients qui signèrent l'acte de naissance de ces hôtels particuliers toulousains à une époque où la Renaissance fleurissait en France, faisant de Toulouse le principal terrain d'expression de la Renaissance parmi les grandes villes de province avec Lyon (dans un style plus gothique pour le Vieux Lyon).
Le nombre des hôtels particuliers survivants à Toulouse varie selon les sources (pas toujours bien informées), la désignation d'hôtel particulier étant informelle et souvent attribuée après coup par les historiens il n'est pas si étonnant que ce chiffre soit incertain. J'en ai pour ma part recensé autour d'une centaine, sans prétendre à l'exhaustivité car d'autres m'ont certainement échappé. L'étude pour la mise en place du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV) en recense autour de deux cents, parfois à l'état de vestiges. Cinquante-deux d'entre eux sont suffisamment conservés et significatifs pour être classés ou inscrits aux monuments historiques.
La classification de ces hôtels est d'autant moins aisée qu'on a pu au XIXème siècle qualifier ainsi - pour des raisons de prestige - des immeubles de rapport dans des axes nouvellement créés ; j'ai éliminé ceux-ci de cette rubrique. Dans d'autres cas ne reste qu'une belle tour capitulaire esseulée qu'on peut difficilement qualifier encore d'hôtel... difficile donc d'être complet et précis. Les pages de cette rubrique devraient toutefois être suffisantes pour vous donner une bonne idée de la richesse de ce patrimoine toulousain.
Si la Renaissance ne couvre pas parfaitement le XVIème siècle (il y eut une architecture encore gothique lors des deux ou trois premières décennies, et la Renaissance déborda ensuite sur le XVIIème siècle) j'ai toutefois choisi de séparer les hôtels du XVIème siècle des autres. C'est que les plus beaux hôtels toulousains sont de ce siècle : l'ère de prospérité économique que connut la ville à cette époque se doubla d'un renouveau artistique et culturel soutenu par des élites soucieuses de mettre en oeuvre une architecture savante à l'imitation de Rome et de ses références antiques. Qu'ils aient été marchands pastelliers ou pas, les riches bourgeois ambitionnaient de devenir capitouls et la volonté des plus prospères d'entre eux de s'afficher socialement par une demeure à l'architecture ambitieuse rejoignait celle de la noblesse de robe dont l'importance sociale n'allait faire que croître au cours des siècles suivants.
Parmi la vingtaine d'hôtels particuliers que la Renaissance a laissés à Toulouse, au moins quatre sont absolument remarquables, étonnamment très différents les uns des autres et chacun témoignant à sa manière de la vitalité architecturale de cette période. La beauté classique du plus renommé d'entre eux, l'hôtel d'Assézat, ne doit pas faire oublier les merveilles qui se cachent dans les cours de l'hôtel du Vieux Raisin et de l'hôtel de Bernuy. On pourrait leur adjoindre dans cette liste l'impressionnant hôtel de pierre (dit aussi de Clary ou de Bagis), toutefois daté pour l'essentiel du début du XVIIème siècle et que l'on peut rattacher à la Renaissance dite tardive.
Et si à la fin du XVIème siècle l'érudit Joseph Juste Scaliger faisait de Toulouse la plus belle ville de France, ses hôtels particuliers n'y étaient pas pour rien : "Toulouse était bâtie de sapins, il y a 70 ans ; le feu s'y prit, il brûla 800 maisons ; depuis ils ont bâti de brique et de marbre. C'est la plus belle ville de France. Ce sont des palais que les maisons."
Apparté : Si le sujet de l'architecture Renaissance à Toulouse vous intéresse plus particulièrement, voir ce site web de quelques pages que j'ai réalisé en tout amateurisme, mais éclairé (du moins j'espère) par des ouvrages d'historiens et notamment par le catalogue de l'exposition Toulouse Renaissance qui s'est tenue en 2018. Les bâtiments y sont groupés sous le thème de la Renaissance et non de leur fonction (car il n'y a pas que des hôtels particuliers), ce qui donne un aperçu plus aisé de la richesse architecturale toulousaine de cette période foisonnante.
Les hôtels des siècles postérieurs sont pour leur part essentiellement des hôtels de parlementaires, le Parlement de Toulouse ayant exercé jusqu'à la Révolution.
Enfin précisons pour les amateurs de visites que nombre de ces hôtels sont difficilement accessibles, étant habités par des particuliers et équipés de digicodes, et que si vous souhaitez visiter beaucoup de cours il vous faudra pour le moins du temps et de l'opiniâtreté. Dans ses formules l'office du tourisme propose toutefois la visite guidée de quelques-uns d'entre eux. Les plus accessibles sont ceux abritant des professions libérales, il vaut mieux alors chercher à les voir aux heures ouvrables en semaine et éviter le week-end. Enfin on pourra regretter que la pollution ternisse encore les façades et décors de certains d'entre eux, et non des moindres. Il faut donc espérer que la volonté de la ville d'obtenir un classement UNESCO permette d'améliorer leur accessibilité et leur mise en valeur.
Répartition géographique des divers hôtels particuliers (et tours) recensés ici :
Et voici une autre carte très intéressante avec un scope plus grand : sur le site www.mides.fr
Tours capitulaires esseulées :