L'arrivée du chemin de fer à Toulouse en 1857 provoqua un renouveau économique, les grandes compagnies parisiennes (grands magasins, banques, assurances...) souhaitèrent alors s'implanter à Toulouse. Pour accueillir leurs vastes succursales on créa deux nouvelles rues inspirées des avenues parisiennes du baron Haussmann, quoique plus étroites pour ne pas trop abîmer le riche et ancien tissu urbain toulousain : la rue d'Alsace-Lorraine et la rue de Metz. Et puisqu'il s'agissait de s'inspirer de Paris, avec la rue d'Alsace-Lorraine ce furent des briques jaunes ou crème tirées d'un argile pauvre en oxyde de fer qui prirent la relève des briques rouges traditionnelles, leur ton étant plus proche de celui de la pierre parisienne.
Malgré un manque de moyens financiers dû au fait que la ville avait raté le virage de la révolution industrielle, le XIXème siècle fut particulièrement riche et marquant pour l'architecture toulousaine : le néoclassicisme marqua la cité jusqu'en 1830 (voire plus) avec notamment la réalisation des deux grandes places Wilson et du Capitole. Puis l'éclectisme et la terre cuite moulée régnèrent jusqu'en 1860 environ, avec une forte empreinte laissée dans la ville due au réalignement des rues et aux nombreuses réédifications de façades qui s'ensuivirent à cette période. Enfin à partir de 1864 l'architecture parisienne du baron Haussmann s'imposa, tout d'abord dans un style strict puis avec un assouplissement des règlements autorisant plus de fantaisie.
La rue d'Alsace-Lorraine est le parfait témoin de cette phase haussmannienne. Je m'y cantonnerai donc pour illustrer cette rubrique, mais on retrouve de tels immeubles dans de nombreux autres rues et boulevards toulousains, quoique avec moins de densité.
Urbain Maguès fut chargé du percement de la rue d'Alsace-Lorraine. Les immeubles furent édifiés en trois tranches entre 1868 et 1910 par des architectes réputés, ils favorisèrent la brique jaune (ou crème) qui donne l'illusion de la pierre. Cette brique jaune était déjà présente à Toulouse depuis quelque temps, elle était par exemple occasionnellement utilisée dès la fin des années 1840 par Auguste Virebent ou Urbain Vitry.
La rénovation de la voirie de cette rue menée conjointement à sa nouvelle vocation piétonnière a ces dernières années remis en évidence la belle qualité de sa collection de décors sculptés et architecturaux très XIXème siècle.
L'architecture de la rue d'Alsace-Lorraine - mais également de bien d'autres rues toulousaines - est également marquée par l'art de la ferronnerie, dont les décors en fonte ornent les garde corps des balcons par leur grande diversité.
Une des rares façades de la rue qui n'est pas en brique, l'ancien siège du quotidien La Dépêche du Midi au style art déco :
L'ancien Grand Bazar Labit, aussi appelé La Maison Universelle. L'un des premiers grands magasins de Toulouse, construit en 1874. Antoine Labit, le fondateur, racheta le lot en face de son magasin pour qu'il demeure non bâti, ce qui rehaussait le prestige de son immeuble qui restait le seul sans vis-à-vis. Cet espace vacant deviendra le square de Gaulle...
L'immeuble suivant en brique claire est également très orné :
La porte de ce même immeuble est ornée de deux colonnes intéressantes pour le témoignage exemplaire qu'elles apportent sur les pratiques constructives de cette époque à Toulouse. Ces colonnes mettent en oeuvre en effet un procédé consistant à faire alterner des tambours de différents diamètres, une technique utilisée à la Renaissance dans l'architecture en pierre de taille car elle permettait notamment de masquer les jointures des différentes pierres formant la colonne. L'architecture de brique bien entendu n'avait nul besoin de tels artifices techniques, on retrouve pourtant ce procédé ici mis en oeuvre par la brique non pour des nécessités constructives mais dans l'unique objectif d'imiter la pierre :
On doit cet immeuble à Pedro Gailhard, chanteur puis directeur de l'Opéra de Paris, également président de l'association des Toulousains de Paris. Il le fit décorer selon ses goûts d'artiste comme vous allez voir :
Les deux bustes évoquent Faust et Marguerite. La statue au sommet représente Méphistophélès, l'un de ses plus fameux rôles :
Un cadran de 24 heures comme on en faisait au 19ème siècle : :
Et pour finir, un bain de foule dans cette artère très fréquentée :